1751-01-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Lambert.

Je suis très étonné et très fâché de la manière dont on s'y est pris pour faire cette malheureuse edition de la quelle on ne me rend qu'un compte où il n'y a ny détail ny clarté.

Si dans cette édition l'ordre des matières n'est pas observé, si les odes ne sont pas avec des odes, les épîtres avec les épîtres etc., elle sera sans doute aussi mauvaise que touttes les autres.

Il y auroit de plus une ignorance bien grande et de la manière de penser du public, et de l'habitude d'imprimer, de rebuter le monde par onze vol. quand on peut réduire le tout en huit ou en neuf. Il faudroit réparer une précipitation si mal entendue, en reportant tous les morceaux détachez intitulez Considérations sur l'histoire, Essay sur l'histoire du siècle de Louis 14, Anecdotes du czar Pierre, au tome qui contient l'histoire de Charles 12.

Il faudroit substituer à la place de ces morceaux Zadig, Memnon, Sottise des deux parts, Les titres, Lettres d'un turc, et tous ces petits morceaux d'une philosofie allégorique.

Il seroit aussi facile que nécessaire de reporter à la fin de chaque tome de pièces de téâtre, celles dont on veut faire inutilement un onzième volume.

Il eût été très convenable, de ne point faire suivre le volume de la Henriade par un volume de vers, mais de mêler alternativement un volume de prose, afin de présenter au lecteur plus de diversité.

Le point le plus essentiel est de suivre soigneusement touttes les éditions, et toutes les corrections que l'on a reçues, et de faire composer par un homme intelligent une petite préface dans la quelle on indiquera touttes ces nouvautez, et le mélange des sujets variez qui peuvent rendre cette édition plus agréable aux lecteurs et plus honorable aux éditeurs.

J'ay déjà mandé quel excez d'opprobre et d'impertinence il y auroit à imprimer je ne sçais quels ouvrages faits pour la canaille, comme un certain roman intitulé La comtesse B., et l'apotéose de Melle Lecouvreur etc., et d'oser mettre ces bétises infâmes sous mon nom. Il ne seroit pas moins ridicule de grossir le fatras qu'on imprime, d'une préface sur les ouvrages de Moliere qui n'est bonne que pour mettre au devant des œuvres de Moliere. Un tel hors d'œuvre me feroit une extrême peine.

Le résultat de tout cecy est qu'il vaut cent fois mieux donner cette édition en neuf volumes qu'en onze; et que onze volumes sont le comble de l'ennuy et du dégoust, révoltent les acheteurs, et ruinent un libraire, et me causent à moy une véritable affliction.

V.