1762-06-04, de François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous pouvés, mon cher confrère, m'addresser à Soissons L'ouvrage des six jours.
Je compte arriver à Vic sur Aine vers Le 25. La santé de ma nièce est rétablie. Mon âme agitée et déchirée commence à se calmer. Pourquoy renoncés vous au plaisir de nous revoir? Vous vivrés encore Longtemps et moy aussi; vous éclairerés encore long temps notre siècle, et moy je l'édifierai par mon courage. Je suis très aise que le Roy ait repris pour son gentilhomme le sujet qui fait le plus d'honneur à son règne. Votre crédit à la cour m'intéresse et me divertit. Rien n'est si plaisant aux yeux d'un philosophe que Le tragicomédie de ce monde. Vous regretés mes petits talents; pour moy, Je vous avoüe que je ne les aurois pas abbandonés, si l'opinion de la cour et du monde ne les avoit pas rendus incompatibles avec les employs que j'ay exercés et l'estat auquel je suis attaché. J'ay connu de bonne heure L'empire du ridicule et j'ay toujours craint le pouvoir qu'il a en France. Dans les pays étrangers, où J'ay vécu, on trouvoit un mérite de plus à un ministre de savoir écrire des vers faciles; à Paris et à Versailles, J'ay rencontré à chaque pas, comme des obstacles, Les amusements de ma jeunesse; cette pédanterie ridicule m'a enfin dégoûté d'un genre, qui m'avoit amusé, délassé et quelques fois consolé. Puis que vous faites cas de mon amitié et que vous ne méprisés pas mon goust, envoyés moy vos ouvrages; je vous dirai mon sentiment, sans crainte de vous blesser, parce que vous savés que je vous aime et que je ne vous compare à aucun auteur vivant. Votre gloire m'est aussi chère que ma réputation; c'est beaucoup dire, car je lui ay sacrifié, sans hésiter, ce que la fortune a de plus brillant. Ce commerce entre nous sera agréable, sans pouvoir paroitre suspect.

Je n'aime point du tout la phrase donner de la croyance à quelque chose. Notre académie ne faira, en corps, que des ouvrages médiocres. Dieu veuille que nos confrères présents et futurs soutiennent sa réputation, ou plustôt sa considération, par leurs travaux particuliers! Cette académie n'est utile que par l'émulation qu'elle excite parmi les gens de lettres. Adieu mon cher confrère, aimés moy toujours et voyagés encore trente ans de Ferney aux Délices, comme Philipe second faisoit de l'Escurial au Prado. Je n'ay point vu Le défi. Je ne crois pas que la destruction des jésuites soit utile à la France. Il me semble qu'on auroit pu les bien gouverner sans les détruire.