à Vic sur Aisne ce 26 juillet 1762
Vous faisés de moy la mouche du coche; vous voulés bien déférer à mes conseils, et vous me prouvés qu'ils sont bons par Les corrections heureuses que vous faites.
Le nouveau langage de Statira met dans son rosle toute la dignité et la convenance nescessaires; d'ailleurs les vers sont beaux et s'imprimeront aisément dans la mémoire du lecteur, et du spectateur; en un mot, vous estes admirable par la grandeur du talent et la facilité du génie, mais (ce que j'aime encore mieux) vous estes fort aimable, et je suis tout glorieux d'estre votre confrère et le confident de vos ouvrages. Qui est ce qui vous a dit que je voulois estre archevêque? Mes amis du clergé le désirent; en général on pense que cela seroit convenable; pour moy, Je n'aspire qu'à me bien porter et à vivre avec mes amis; depuis que j'ay pris le cuisinier de Pythagore ma santé se rétablit, et ce visage rond dont vous parlés reprend son coloris naturel. A l'égard de Paris, Je ne désire d'y habiter que lorsque la conversation y sera meilleure, moins passionnée, moins politique. Vous avés vu de notre temps que toutes les femmes avoient leur bel esprit, ensuite leur géomètre, puis leur abbé Nollet; aujourdui on prétend qu'elles ont toutes leur homme d'estat, leur politique, leur agriculteur, leur duc de Sully; vous sentés combien tout cela est ennuyeux, et inutile. Ainsi J'attends sans impatience que la bonne Compagnie reprenne ses anciens droits, car je me trouverois fort déplacé au milieu de tous ces petits Machiavels modernes. A l'égard de mes revenus, n'en croyés pas à l'almanach Royal, lequel dans le passage de 1758 à cinquante neuf, augmenta mes revenus de quarante mille francs. Mes deptes payées, J'aurai quatrevint mille Livres de rente; c'est beaucoup pour un cadet de Languedoc, ce n'est pas trop pour un cardinal, qui est obligé d'avoir un estat. Voilà la vérité exacte. Aureste Je suis content et fort heureux quand je me porte bien, et que je reçois vos jolies lettres; elles me consolent des malheurs et des platitudes. Adieu, mon cher confrère, vous sentés bien qu'il est impossible que je me deffende de vous aimer de tout mon cœur.