1764-01-26, de François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis à Voltaire [François Marie Arouet].

Quand on est heureux il faut être modeste.
C'est pour cela, mon cher confrère, qu'après avoir remercié le Roy, Je suis venu remercier la campagne, qui m'a rendu la santé et dont le séjour a achevé de me dézabuzer des grandeurs humaines. Vous devés avoir reçu une lettre de moy à mon retour de Verssailles. J'ay publié une amnistie générale pour tous mes déserteurs; Je les reçois comme un homme du monde qui est accoutumé au flux et reflux des amis, selon les circonstances, et comme un philosophe, qui plaint les hommes (outre les maladies qui affligent l'humanité) d'estre encore sujets aux bassesses et aux platitudes. Les lettres fairont mon occuppation, et mon bonheur, comme elles ont fait mon sort, ou du moins, beaucoup contribüé à ma fortune. Quand mes affaires seront arrangées, J'aurai l'hyver une maison à Paris et je joüiray l'esté de la dépense que j'ay faite sur les bords de l'Aisne. Voilà mon plan, que dieu seul et la toute puissance du Roy peuvent déranger. Je crois vous avoir mandé que je n'ay rien perdu de l'anciene amitié de Madame de Pompadour et que j'ay beaucoup à me loüer de m. le duc de Choiseul. C'est tout ce qu'en moy l'homme d'honneur et l'homme sensible pouvoient désirer. Un traité de la tolerance est un ouvrage si important, mais si délicat, que je crois plus prudent de vous prier de ne pas me l'addresser. Je suis un peu enrumé. Priés dieu que je ne m'enrume pas davantage le deux du mois prochain à la procession des chevaliers de l'ordre. Il y a des gens qui se moqueroient de moy, en me voyant recourir à vos prières. Pour moy, J'aurai toujours espérance et confiance dans une âme que dieu a embellie des lumières les plus pures et des sentiments les plus nobles. Adieu mon cher Tyrezie, qui voyés si clair; l'hyver va finir; vous retrouverés vos yeux au printemps.