à Vic sur Aine ce 7 aoust 1762
J'ay lu mon cher Confrère la lamentable histoire des Calas, dont j'avois beaucoup entendu parler dans ma province; il y a du louche des deux côtés; le jugement est incompréhensible, mais le fait ne paroit pas éclairci.
J'en vois assés pour estre fort mécontent et même fort scandalisé. Est il possible que l'honneur et la vie soient si fort exposés aux passions, aux caprices, et à l'ignorance des hommes? Je voudrois que le dénoûment des affaires criminelles ne fùt jamais précipité; le temps seul peut découvrir de certaines vérités, il faut savoir attendre.
J'espère que je reverrai Cassandre au sortir de sa toilette. Je prends a cette pièce un intérêt plus fort que celui de l'amitié que j'ay pour vous. Je suis bien aise que vous ayés retouché Mariane. Ne m'ôtés pas le rosle de confident que vous m'avés donne dans vos tragœdies. Soit justice, soit amour propre, de tout ce qui se fait aujourdui, Je ne puis lire que vos ouvrages. Avés vous vu l'éloge de Crebillon? Son panégiriste n'est pas fade, il le censure avec justice, mais il le loue un peu trop sobrement. Notre Confrère l'archevêque de Lyon, a passé ici quelques jours. Nous avons parlé de vous. C'est un des évêques le plus éclairé et le plus aimable. Ma santé va fort bien et ma philosophie, selon le système de l'abbé de Chaulieu s'en ressent. Il faut toute la force d'une raison supérieure pour voir en beau ou en guay les choses de ce monde quand on se porte mal. Adieu mon cher Confrère, je vous aime presque autant que vous estes aimable.