Paris ce 14 Jer 1766
Vous m'avés envoyé, monsieur, les plus Jolies étrennes du monde, et je ne puis vous rendre que des souhaits.
Daignés aumoins les recevoir avec bonté et ajoutés â cette grâce celle de m'accorder toujours votre estime.
J'av[a]is pris la plume pour gronder lorsque votre charmante lettre est arrivée. La plume m'est tombée des mains et je la reprens pour écrire tout le contraire.
Voici le sujet de ma petite Colère. Il est arrivé depuis deux ou trois jours de Genève une Jolie pièce toute imprimée. Elle couroit Paris et tout en cheminant elle est arrivée chés moi, Je l'ai lüe, j'en ai parfaitement deviné l'auteur et j'étois fâché que cet auteur ne me mit pas au nombre de ses Elus. Il auroit parbleu bien tort car je me crois au nombre de ses saints.
M. d'Argental m'avoit déjà fait dire de ne point permettre l'impression de ces vers et je lui ai répondu que très sûrement nous nous opposerions à l'impression dès que vous le vouliés aussi, mais que je ne serois point surpris d'en voir paroitre deux ou trois éditions à la fois. Il faudroit un plus grand miracle que ceux de la bergère de Nanterre pour arrêter l'avidité d'un prôte ou d'un garçon imprimeur qui nous bâclera une édition dans une soirée, mais m. Covelle ne croit pas aux miracles, et puis c'est du Voltaire. On respecte bien les ordres de la police lorsqu'il est question de cet auteur! Les vers sibillins n'étoient point recherchés avec autant d'empressement. Je ne vous dirai point teste David cum Sybillo mais teste Saül cum rabbino.
Pour moi, monsieur, je prens tout le monde à témoin de mon empressement à vous plaire, de mon admiration pour vous et de l'envie que j'aurois de prouver des sentimens aussi sincères.
E viva felice.
Marin
Vous avés la bonté de citer en ma faveur St Paul, qui dit que le prêtre doit vivre de l'autel. On vous prend ici ce beau passage à la lettre et on me dit que je ne suis point prêtre et que j'assiste très rarement à l'autel. De là on me laisse sans relâche, on me fait cependant toujours espérer moi chi vive sperando muore cacando, dit élégament le proverbe.