Ferney 3 janvier 1766
M. le duc de Choiseul m'a écrit, mon cher frère, qu'il avait parlé pour la pension de m. Dalembert, qu'il n'y avait nul mérite et qu'il n'avait été qu'un enfonceur de portes ouvertes.
Voilà ses propres paroles, je vous prie instamment de les rapporter à notre cher philosophe. Avouons donc que m. le duc de Choiseul a une belle âme. Ce qu'il a fait pour les Calas le prouve assez. Rendons lui justice. Il y a eu du malentendu dans la protection qu'il a donnée à l'infâme pièce de Palissot. Il lui avait fait entendre que les philosophes décrieraient le ministère. Nous ne devons point avoir de meilleur protecteur que ce ministre généreux qui a de l'esprit comme s'il n'était pas grand seigneur, qui a fait de très beaux vers, même étant ministre, qui a sauvé bien des chagrins à de pauvres philosophes, qui l'est lui même autant que nous, qui le paraîtrait davantage si sa place le lui permettait.
Mon cher frère, tout est tracasserie, et personne ne s'entend. On m'a rendu compte de la prétendue, lettre à mad Dudeffand, dont quelques fragments ont couru sous mon nom. Elle n'en a point donné de copies; quelques indiscrets en ont retenu des bribes. Il s'agissait d'une mauvaise plaisanterie que je reprochais à mde du Deffand. Vous savez en pareil cas combien on augmente ou combien on altère le texte.
Lisez ces vers avec vos amis; mais; n'en laissez point prendre de copies. Je ne veux pas me brouiller avec les moines de Sainte-Genevieve; Soufflot trouverait mes vers mauvais.
Je vous embrasse tendrement.