à Ferney 26e 9bre 1765
On ne vous a point trompé, Monsieur, quand on vous a assuré de mon estime extrême pour vous, de mon zèle pour le bonheur de la république, et des justes espérances que me donne l'esprit de justice qui vous anime; mais on ne s'est peut être pas expliqué assez clairement sur la manière dont j'ai conçu les objets qui vous divisent.
Voicy, Monsieur, l'idée que je m'en suis faitte.
L'article 3 de la médiation ne souffre pas qu'on innove sans le consentement du conseil général. Les paragraphes 5 et 6 de l'article 4 semblent Littéralement donner le droit au conseil de rejetter ou d'admettre au gré de sa prudence, les représentations des citoiens.
Or suposons un cas où le conseil eût innové malgré la loi de l'article 3, et où les remontrances des citoiens seraient rejetées en vertu des articles 5 et 6. N'est-il pas évident qu'alors la loi se trouverait en contradiction avec elle même?
Le jurisconsulte étranger qui était chez moi lorsque vous y vintes ne considérait que ces articles 5 et 6. Mais un autre beaucoup plus au fait, et bien plus à portée d'en rendre compte, est convenu avec moi que la Loi qui deffend toute innovation faitte sans le consentement du conseil général est en opposition avec la Loi qui permet de ne point assembler le conseil général quand les citoiens demandent cette assemblée au sujet d'une innovation. Il faut donc concilier l'esprit de la Loi avec la Lettre. Il faut prévenir par une explication claire et nette, toutes les incertitudes.
Il ne serait pas juste, sans doute, qu'un petit nombre de citoiens fatiguassent par caprice, le conseil occupé de ses fonctions journalières, et demandassent l'assemblée de la république entière pour des objets de peu d'importance; mais ils ne serait pas juste aussi que le conseil rejetât les vœux du plus grand nombre, dans des choses de conséquence.
C'est là, ce me semble le centre de toutes les difficultés. Quel nombre de citoiens doit on fixer pour que le petit conseil soit obligé de porter leurs remontrances au deux cent, et d'assembler en conséquence le conseil général? C'est là le point essentiel qui doit être décidé.
Il me parait qu'on peut aisément s'accorder sur tous les autres; c'est là le sentiment d'un homme en place, très instruit, et en état de préparer toutes les voies de conciliation. Nous nous sommes trouvés, tout deux du même avis, avant de nous avoir communiqué nos idées.
Je dois vous dire encor, Monsieur, qu'il a été très touché de la décence et de la modération que les citoiens ont fait paraître dans les dernières assemblées; c'est ce qui distingue le peuple de Genève; plus il est éclairé, plus il est sage.
Mr Henin viendra incessamment, c'est un homme de beaucoup de mérite, qui a de la justesse dans l'esprit, et de la justice dans le cœur.
Quand j'aurai l'honneur de vous entretenir, je vous en dirai d'avantage; vous me trouverez toujours zèlé pour la paix, plein d'estime pour les personnes des magistrats comme pour celles des citoiens que j'ai eu l'honneur de connaître. Le papier me manque pour vous dire tout ce que je pense de vous, et à quel point je vous suis attaché. V. t. h. o. sr
Je salue mr vôtre Père et mr vôtre frère.
V.