1766-01-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Je vous envoie, mes divins anges, le consentement plein de respect et de reconnaissance que les citoyens de Genêve, au nombre de mille, ont donné à la réquisition que le petit conseil a faite de la médiation.
Je leur ai conseillé cette démarche qui m'a paru sage et honnête, et vous verrez que je les ai engagés encore, à faire sentir qu'ils sont prêts d'écouter les tempéraments que le conseil pourrait leur proposer; mais j'aurais voulu qu'ils eussent proposé eux mêmes des voies de conciliation. Quoi qu'il en soit, on a bien trompé la cour quand on lui a dit que tout était en feu dans Genêve. Je vous répète encore qu'il n'y a jamais eu de division plus tranquille. C'est moins même une division qu'une différence paisible de sentiments dans l'explication des lois. Quoique j'aie remis à mr Hénin la consultation de vos avocats, quoiqu'il ne m'appartienne en aucune matière de vouloir entrer le moins du monde dans les fonctions de son ministère, cependant comme depuis plus de trois mois je me suis appliqué à jouer un rôle tout contraire à celui de Jean Jaques, j'ai continué à donner mes avis à ceux qui sont venus me les demander. Ces avis ont toujours eu pour but la concorde. Je n'ai caché au conseil aucune de mes démarches; et le conseil même m'en remercia par la bouche d'un Conseiller du nom de Tronchin, la veille de l'arrivée de mr Hénin.

En un mot, tout est, et sera tranquille, je vous en réponds. Je vous prie de l'assurer à mr le duc de Praslin. La médiation ne servira qu'à expliquer les lois.

Je redouble mes vœux de jour en jour pour que vous soyez le médiateur; mr Hénin le désire comme moi, et vous n'en doutez pas. Je sais que mr le comte d'Harcourt est sur les lieux, je sais qu'il a un mérite digne de sa naissance, mais mr le duc de Praslin sait aussi que ce n'est pas le mérite qu'il faut pour concilier des lois qui semblent se contredire pour en changer d'autres qui paraissent peu convenables, et pour assurer la liberté des citoyens, sans offenser en rien l'autorité des magistrats.

Je ne cesserai de vous dire que ce doit être là votre ouvrage, et je me livre dans cette espérance à des idées si flatteuses, que je ne sais pas comment je pourrais supporter le refus. Venez mes chers anges, je vous en conjure.

Il faut vous dire encore un petit mot de ces lettres qui ont amusé tous les honnêtes gens, et jusqu'à des prêtres. Elles ne sont, ni ne seront jamais de moi; elles n'en peuvent être. Je vous renvoie à la lettre que je vous ai écrite sous l'enveloppe de mr le duc de Praslin; je ne puis pas répondre que la fréronaille ne me calomnie quelquefois; mais je vous réponds bien que j'aurai toujours un bouclier contre ses armes. L'imposture peut m'accuser, mais jamais me confondre. Je ferais beau bruit si on s'avisait de s'en prendre à un homme de soixante et douze ans, à qui toute sa petite province rend témoignage de sa conduite chrétienne, de ses bons sentiments, et de ses bonnes œuvres, et qui de plus, est sous les ailes de ses anges. En vérité je fais trop de bien pour qu'on me fasse du mal.

Respect et tendresse.

V.