à Turin Le 9 octobre 1765
Monsieur,
Les bontés dont vous m'avés Comblé, m'ont trop vivement pénétré, pour que je ne Vous en témoigne pas ma reconaissance.
Je suis parti de Ferney Le Coeur plein de ce sentiment que tout autre eût Eprouvé à ma place. L'acueuil Charmant que vous m'avés fait ne s'efacera jamais de mon souvenir. En tout autre tems Le Voiage d'Italie m'aurait paru agréable, actuélement, je ne songe qu'a L'abréger autant qu'il me sera possible. La permission que Vous m'avés donnée de revenir dans Votre Château passer quelque tems, Est le motif qui me fait précipiter mon Voiage. Je ne Verrais ici que des Ruines antiques et des sotises modernes. Je trouverai dans Votre retraite La Raison, La philosophie, et les plaisirs. Jugés, Monsieur, si je puis balancer dans Le Choix.
Tout ce que je vois ici depuis Le peu de jours que je m'y trouve sert à me consterner. L'Esprit humain est bien humilié en Italie. On n'y voit que des prêtres, des simulacres, des Eglises, et des processions. Les moines sont Les souverains de cette Belle contrée. Ah! Monsieur, faites une oeuvre méritoire, ordonés qu'on traduise La philosophie de L'histoire, Le dictionaire philosophique, et Les douze Lettres sur les miracles, dans La Langue du Tasse; peut Etre est çe L'unique moien de rendre plus sensés, Les Dix millions d'homes qui habitent La patrie des Cézars et des Virgiles.
Qu'il me sera flateur de reçevoir quelques fois de vos nouvelles! Je regarderai Vos Lettres come un contre-poison pendant mon séjour de Rome, et come une consolation pour Le reste de ma vie.
Mme de Schouvaloff vous présente ses respects, ainsi qu'à Madame Denis, elle se prépare à vous remercier Elle même. Je vous prie, Monsieur, de présenter aussi mes respects à Madame Denis.
J'ai L'honeur d'Etre avec toute La Considération que L'on vous doit, et avec cet atachement que Le séjour de Ferney n'a fait qu'augmenter
Monsieur,
Votre très-humble et très obéissant serviteur
A. de Schouvaloff
Si vous voulés m'honorer quelques fois de vos Lettres, je vous suplie de les faire remétre, à Mrs Cathala et La Serre, qui me Les feront parvenir.