1765-06-26, de Jacques de Chazel à Voltaire [François Marie Arouet].

J'arrive de Montpellier Monsieur mon plus ancien et Illustre amy où J'ay trouvé auprès du fameux M. Fizes quelque adoucicement aux maux que Je souffre depuis environ quatre années.
Mon silence doit vous avoir fait juger de l'état fâcheux où J'ay été pendant ce temps là. Je n'ay pas laissé de m'informer très souvent de L'état de votre santé et j'ay apris toujours avec plaisir qu'elle étoit des meilleure et que vous meniés La vie du monde La plus douce dans votre délicieuse Campagne. J'Espère Enfin que J'auray le bonheur de vous y voir sy M. Le vicomte de Narbonne va consulter M. Tronchin. Il m'a promis une place dans sa voiture, mais Je crains qu'un voyage qu'il à à faire à Paris où est Made sa femme ne dérange l'autre. Vous sçavez qu'il avoit Epousé en première Nopces la Nièce de M. Le Cardinal de Fleury. C'est un des seigneurs de cette province les plus distingués, qui a beaucoup d'esprit, de Connoissance et de goût, Et dont vous êtes l'idole. Combien de fois ne m'a t-il pas parlé de vos ouvrages? Il les a tous, et je ne les ay pas. Je me flate que vous les ajouterez à ceux que vous m'avez donnés. Je mérite, Je puis le dire, Cette faveur par notre ancienne connoissance et tous les sentiments que J'ay conservés pour vous; sy J'avois suivy les mouvements de Mon Coeur, combien de fois n'aurois-je pas été vous chercher? Mais J'y ait toujours trouvé des entraves, L'Education d'une famille Nombreuse que dieu m'a Enlevée de plus de la moitié, une charge qui a presque toujours demandé ma présence par le nombre Infiny des Crimes qui se commettent dans ce ressort qui est un des plus étendus de cette province, des Malheurs uniques qui me sont arrivés, des maladies assés fréquentes et longues, tout Cela dis-je Mon illustre amy, m'on retenu dans ma patrie, Et Comme il faut mettre un Intervalle entre La vie et La mort et que je suis votre doyen de quelques années, je suis après à me défaire de ma charge, Mais Comm'il m'En a coûté beaucoup pour la remplir convenablement, je voudrois obtenir du Roy les deux pensions que j'y ay, pour mon successeur. Les temps ne sont pas trop favorables pour obtenir une pareille grâce. J'ay lieu d'Espérer que mes services et mes pertes, ma famille qui Est Connue de M. le vice chancellier, de M. Le Maréchal de Richelieu et de M. de st Florentin, étant apuyé de leur Crédit pourront me la procurer. Je me sens encore assés de courager pour aller moi même La solliciter mais j'avoue que je voudrois bien auparavant avoir le plaisir de vous voir. Je vous amèneray, si je puis avoir le Bonheur d'exécuter ce projet qui me fait tant du plaisir, mon fils ainé qui se distingue dans la compagnie où Il Est et qui pourroit remplir d'autres places a Eu L'honneur de vous Ecrire deux fois, et je ne sçait comment il n'a pas continué. Je l'en ay même grondé.

Ne serai-je jamais assez heureux de vous être Bon à rien dans notre ville où le Commerce va au Mieux? Nos Négotiants disent même que s'il continue sur le pied