27 févr 1765
Mon cher ange, il y a des monstres, et ce Vergi est un des plus plats monstres qui aient jamais existé.
Ses horribles impertinences sont déjà oubliées pour jamais. C'est le sort de tous ces malheureux qui se croient quelque chose parce qu'ils ont appris à lire et à écrire, et qu'ils ne savent pas que la condition d'un honnête laquais est infiniment supérieure à leur état.
Je fais toujours d'humbles représentations au tyran du tripot. En vérité je commence à croire qu'il n'y a point d'autres fondements de vos querelles que la concurrence du pouvoir suprême. Il me paraît ulcéré de ce que je me suis adressé à vous et non pas à lui, dans le temps que vous étiez à Paris et lui à Bordeaux. J'ai nié fortement, j'ai soutenu que j'avais envoyé à Grandval sous son bon plaisir les provisions des dignités comiques. Ce procès ne finit point; le tyran est toujours dans une colère à faire pouffer de rire. Je soutiens mon bon droit avec une véhémence douloureuse et pathétique; et je ne désespère pas qu'à la fin mon innocence ne l'emporte sur sa tyrannie.
Oserais-je vous supplier, mon divin ange, de dire à m. du Belloy combien je suis enchanté de son succès? Vous souvenez vous d'une madlle de Choiseul qui étant près de mourir, et ne pouvant plus coucher avec son amant, pria une de ses amies de coucher avec le sien en sa présence, afin de voir deux heureux avant sa mort? Je suis à peu près dans ce cas; je baisse à un point que cela fait pitié. J'ai actuellement chez moi pour me ragaillardir, un jeune m. de Vilette qui sait tous les vers qu'on ait jamais faits, et qui en fait lui même, qui chante, qui contrefait son prochain fort plaisamment, qui fait des contes, qui est pantomime, qui réjouirait jusqu'aux habitants de la triste Genêve. Dieu m'a envoyé ce jeune homme pour me consoler dans mon dépérissement, et pour égayer ma décrépitude. Le nombre d'originaux qui me passent par les mains est inconcevable. Quand je considère les montagnes de neige dont je suis environné de tous côtés je n'imagine pas comment les gens aimables peuvent aborder. Voilà assurément une étrange destinée.
Avouez moi donc que made d'Argental ne tousse plus. Tout le monde tousse dans mon pays. Nous sommes en Sibérie l'hiver, et à Naples l'été.
J'ai été bien attendri du mémoire d'Elie. J'espère que David payera pour le parlement de Toulouse. Tous les David m'ont toujours paru de méchantes gens. Savez vous bien que j'ai encore sur les bras une aventure pareille? Mais comme on n'a été roué cette fois-ci qu'en effigie, et qu'il n'y a qu'une famille entière réduite à la dernière misère, cela ne vaut pas la peine qu'on en parle.
Je rends grâce à m. Marin d'avoir renvoyé mes secrets en Hollande. Je crois que mon respect pour vous n'y a pas peu contribué.
Mes divins anges, respect et tendresse.
Je crains toujours que mon maudit curé ne me joue quelque tour pour mes dîmes.
V.