1763-02-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Madame ange,

Les lettres se croisent comme les conversations de Paris.
Celle-ci est une action de grâces de la part de made Denis, qui a un érésipèle, un point de côté, la fièvre, &c.; de la part de mon cornette de dragons, qui se jette à vos pieds, et qui baise le bas de votre robe avec transport; de la part de Marie Corneille, qui vous écrirait un volume si elle savait l'orthographe; et enfin de la part de moi aveugle qui réunis tous leurs sentiments de respect et de reconnaissance. Il n'y a rien que vous n'ayez fait; vous échauffez les abbés de la Tour du Pin, vous allez exciter la générosité des fermiers généraux. Il n'y a qu'un point sur lequel j'ose me plaindre de vous, c'est que vous avez omis la permission de la signature d'honneur des mes deux anges. Je vous avertis\\que j'irai en avant, et que le contrat de Marie sera honoré de votre nom; vous me désavouerez après, si vous voulez.

J'ai reçu aujourd'hui une lettre de made de Colmont-Vaugrenant. Elle demande pardon pour son dur mari; elle me conjure de donner madelle Corneille à son fils; je lui réponds que la chose est difficile, attendu que melle Corneille est fiancée à un autre; il y a de la destinée dans tout cela, et je crois fermement à la destinée, moi qui vous parle. Celle de m. Lefrance de Pompignan est de me faire toujours pouffer de rire (moi et le public s'entend). Oh! la plaisante chose que son sermon et la relation de sa dédicace! On est trop heureux qu'il y ait de pareils gens dans le monde.

J'insiste pour que mon neveu d'Hornoy soit conseiller au parlement. Il ne fera jamais tant de bruit que l'abbé Chauvelin; mais enfin il sera tuteur des rois, et fera brûler son oncle tout comme un autre. Envérité, messieurs sont bien tendres aux mouches. S'ils criaient pour une particule conjonctive, je leur dirais: Messieurs, vous avez oublié la grammaire que les jésuites vous avaient enseignée.

Tout le public murmura, et le roi fut assassiné. Quel rapport cette phrase peut-elle avoir avec le parlement de Paris? Je présenterais requête au roi et à son conseil, comme les Calas, mais ce serait avant d'être roué, et je ferais l'Europe juge entre le parlement et la grammaire. Je vous parle ainsi mes anges parce que je vous crois plutôt ministres d'un petit fils de Louis 14, que partisans de la fronde. Il est doux de dire ce qu'on pense à ses anges. Je vous avoue que je suis comme Platon; je n'aime pas la tyrannie de plusieurs. Je sais que le parlement ne m'aime guère, parce que j'ai dit dans le siècle de Louis 14 des vérités que je ne pouvais taire. Ce motif d'animosité n'est pas trop honorable. Je vous ai dit tout ce que j'avais sur le cœur; cela me pesait. Mais que vos bontés pour moi ne s'alarment point; je vous réponds qu'il ne subsiste aucune particule qui puisse déplaire.

Parlons du tripot pour nous égayer.

On dit que la très sublime Clairon ne veut pas ôter le rôle de Mariamne à la très dépenaillée Gossin. Que voulez vous! ce n'est pas ma faute, je ne peux rendre ni les hommes, ni les filles raisonnables; qui est ce qui se rend justice? quel est le prédicateur de st Roch qui ne croie surpasser Massillon?

Je me rends justice, mes anges, en disant que mon cœur vous adore.

V.