Monseigneur,
Je ne puis mieux commencer l'année, qu'en La souhaitant trés heureuse à Vostre Grandeur. C'est m'acquitter d'un de mes premiers devoirs, et satisfaire le plus vif, et le plus sincère de mes désirs. Si le Ciel exauce mes voeux, il préviendra Les vostres, il vous fera Le bonheur Le plus accompli. Daigner, Monseigneur, prendre pour moy une partie des sentiments, qui répondent à ceux, dont je suis pénétré pour vostre grandeur. J'ay perdu mes supérieurs et mes guides. Ayez La bonté de mes les remplacer. Ce sera ma plus grande consolation. Veuillez être mon père, et mon conducteur. Je vous L'ay déjà demandé. Je vous en prie encore, et ne cesserai point de le faire jusqu'à la fin de mes jours, qui peut-être n'est pas bien éloignée. Honorez moy de vos conseils. Vostre charité me trouvera toujours docile. Avertissez moy de ce qu'on dés-aprouve dans ma conduite; ou avec justice, ou sans raison. Vostre grandeur me verra, ou bien tout corrigé, ou parfaitement innocent de ce dont on m'aura accusé. Si Monsieur de Vidonne avoit eû La bonté de m'écrire, dans un mot de réponse, ce que j'ai apris qu'on Luy dit contre moy, lors que je luy demandai Le renouvellement de mes pouvoirs, il auroit eû un plaisir bien digne de luy, je veux dire celuy de voir L'innocence justifiée contre La calomnie, et par une Lettre mesme du calomniateur. J'avouë que Monsieur De Vidonne ne sçavoit, et n'avoit pas lieu de croire que mon accusateur étoit guidé par Le ressentiment et par la vengeance. Mais un sexagénaire, un religieux, et (permettez moy de le dire, quoy qu'en disent Les parlements) un jésuite depuis quarante cinq ans, un prestre, un ancien professeur et docteur en Théologie, devoit il être condamné sur un simple rapport? ne pouvoit-on pas au moins consulter Monsieur vostre promoteur? Toute Le monde connoit Le mérite et La sainteté de ce digne Ecclésiastique. Pour empêcher qu'on ne L'écoutât, on avoit dit que c'estoit mon ami. On ne pouvoit me faire plus d'honneur; c'étoit par Là mesme assurer mon innocence. C'est un homme, qui condamneroit son père mesme, s'il Le voyoit s'écarter de L'ordre. Et de quoi s'agissoit-il? Vostre grandeur me permettra de Le Luy rapeller. C'est d'avoir confessé quelques personnes pour La Pasque sans L'agrément du curé. Mais par bonheur j'ay conservé La Lettre qui peut confondre l'accusateur. C'est encore, peut-être, de n'être pas toujours en habit long. Mais j'en ai été charitablement averti; et j'ay déféré à L'avis. Seroit-ce de vivre au milieu du grand monde? J'aimerois bien mieux mon ancienne solitude. Je La regrette. J'ay sçû du moins m'en faire une contre La dissipation, et me tenir en garde contre L'ombre du scandale. Seroit-ce de vivre d'un pain de charité? C'est Là de quoi toucher tout le monde en ma faveur. Ce n'est pas ma faute. C'est une bien triste nécessité pour moy. Je lis tous les jours avec plaisir les constitutions du diocèse, je m'y conformerai toujours avec respect. Je la dois d'autant plus que Le nouvel édit du Roy, qui vient d'être enrégistré au parlement de Dijon, nous met dans L'obligation de suivre Les Loix des Diocèses, où nous vivons. Ce parlement avoit vû sans peine Monseigneur L'Evesque de Dijon donner ses approbations, à une quinzaine de jésuites, qui sont restés dans sa ville Episcopale, et confier mesme à quelques uns d'Eux La direction de certaines maisons religieuses. Il a enrégistré sans difficulté un édit qui nous permet de posséder toute sorte de bénéfices, mesme à charge d'âmes. C'est ce que vient de m'aprendre un conseiller du parlement, frère de Monseigneur L'Evesque De Belley. Si, pour mériter vos faveurs, vostre grandeur souhaite que je subisse des examens, je me soumets à toutes vos volontez. Suivez, Monseigneur, vos propres lumières, et Les sentiments de vostre coeur bon, généreux, et vraiment chrêtien en faveur d'un homme, qui ne cherche que le bien. Quand j'ay demandé Les pouvoirs de confesser, c'étoit pour une infinité de personnes de tout sèxe, de tout âge, et de toute condition, qui m'avoient donné Leur confiance, et que j'avois ou remis, ou entretenu dans La fréquentation des sacrements, et dans La pratique de la vertu. Quoyque Le refus, qui m'en a êté fait, ait occasionné bien des soupçons et des discours sur mon compte, je remets tout à vostre charité et à vostre prudence. Je les attendrai avec soumission, je les recevrai avec reconnoissance, et j'en userai avec fidélité. Rien ne sera jamais capable d'altérer Les sentiments du respect profond, et du tendre devouëment, avec Les quels j'ay l'honneur d'estre
Monseigneur
de vostre Grandeur
Le très humble et très obéïssant serviteur
Adam
à Fernex, ce 1 janvier, 1765