Je vous envoie pour vos étrennes un petit dessin d'un Voltaire, pendant qu'il perd une partie aux échecs. Cela n'a ni forme ni correction, parce que je l'ai fait à la hâte, à la lumière, & au travers des grimaces qu'il fait toujours, quand on veut le peindre; mais le caractère de la figure est saisi, & c'est l'essentiel. Il vaut mieux qu'un dessin soit bien commencé, que bien fini, parce qu'on commence par l'ensemble, & qu'on finit par les détails.
Je continue à m'amuser beaucoup ici; je suis toujours fort aimé, quoique j'y sois toujours. Vous ne sauriez vous figurer, combien l'intérieur de cet homme-ci est aimable. Il serait le meilleur vieillard du monde, s'il n'était point le premier des hommes; il n'a que le défaut d'être fort renfermé, & sans cela, il ne serait point aussi répandu. Il est venu chez lui un Anglais qui ne peut pas se lasser de l'entendre parler anglais, & réciter tous les poèmes de Driden, comme papa récite la Jeanne. Cet homme-là est trop grand pour être contenu dans les limites de son pays. C'est un présent que la nature a fait à toute la terre. Il a le don des langues & des in-folio, car, on ne sait pas, comment il a eu le temps d'apprendre les unes, & de lire les autres.
J'ai peint ici une jolie petite femme de Genève, minaudière, avec un grand succès; & comme on la croyait fort difficile, tout le monde est à mes genoux pour des portraits. Mais, je suis trop las de ne pas vous voir au milieu des différents plaisirs que j'ai ici, pour céder aux instances qu'on me fait. J'ai beau m'amuser, vous me manquez partout; il me semble presque, que tous mes plaisirs ont besoin de vous.
Adieu, madame la marquise: il est deux heures, je meurs de sommeil, & je crois même que je vous endors par ma lettre.