Au camp de Verda, le 15 septembre 1762
Vous compatissez, sans doute, monsieur, aux maux de la guerre, en blâmant les ministres qui en sont la cause.
La France se serait épargnée bien des millions & bien des flots de sang, si nos plénipotentiaires d'Aix-la-Chapelle avaient mieux déterminé les limites du Canada. Ce sont ces querelles qui, pour des propriétés de glaces & de pelleterie, ont fait retentir les canons de l'Amérique septentrionale jusque sur l'électorat d'Hanovre.
Quoi qu'il en soit, monsieur, m. le prince de Condé vient de remporter deux avantages consécutifs sur le prince héréditaire de Brunswick, aux journées de Groningue & du Jans-Bergk.
Voilà notre jeune Condé déjà dans les sentiers qui ont conduit ses illustres ayeux à l'immortalité.
Mais, monsieur, si on se lasse même du plaisir, on doit encore plus volontiers se lasser de la peine.
Ma mauvaise santé, le régime tumultueux des quartiers généraux, enfin l'ennui de la musique meurtrière des coups de fusils, qui forment l'orchestre assidu de nos journées; tout cela me fait désirer la fin de la campagne, & même celle de la guerre. J'aime mieux la tranquillité du monde que ma fortune particulière. Ce n'est peutêtre pas la façon de penser de nos grands & petits héros, qui marchent gaiment sur des corps morts pour parvenir à des grades; mais c'est la mienne. Je prie notre cher Nestor du Parnasse de recevoir, avec son indulgence ordinaire, l'hommage de ma vénération.