19e xbre 1764
Vous saurez, mes divins anges, que m. le ma͞al de Richelieu m'a écrit une lettre fulminante sur la distribution des bénéfices du tripot. Il m'accuse d'avoir conspiré avec vous contre les quatre premiers gentilshommes de la chambre. Je viens de le confondre par des raisons auxquelles on ne peut répondre que par humeur et par autorité. Je lui ai envoyé la copie de sa lettre par laquelle il m'avait non seulement permis de disposer des dignités comiques, mais dans laquelle il m'assurait que c'était mon droit, qu'on ne me l'ôterait jamais, et qu'il voulait que j'en usasse.
Je lui ai certifié que vous n'aviez nulle part aux résolutions que j'ai prises en conséquence de ses ordres; je ne sais ce qui arrivera de cette grande affaire mais je n'ai pas voulu que vous souffrissiez pour ma cause. Il seriat injuste qu'on vous fît une affaire d'état dans le temps présent pour les héros du temps passé. Je vous supplie de me mander en quel état est cette tracasserie théâtrale.
Je soupçonne le portatif d'avoir été noyé dans les flots d'édits portés en parlement; et quand on voudra le mettre en lumière, après l'aventure des édits, ce ne sera que du réchauffé; on ne saura pas seulement de quoi il est question, et maître Omer en sera pour son réquisitoire.
On dit que quelques philosophes ont ajouté plusieurs chapitres insolents au portatif; qu'on l'a imprimé en Hollande avec ces additions irréligieuses; qu'il s'en est débité quatre mille en huit jours, et que la sacrosainte baisse à vue d'œil dans toute l'Europe. Dieu bénisse ces bonnes gens, ils ont rendu un service essentiel à l'esprit humain. On ne peut établir la tolérance et la liberté qu'en rendant la persécution ridicule. Il faut avoir les yeux crevés pour ne pas voir que l'Angleterre n'est heureuse et triomphante que depuis que la philosophie a pris le dessus chez elle. Auparavant elle était aussi sotte et aussi malheureuse que nous.
Il fait un temps assez doux dans notre grand bassin entre les Alpes et le mont Jura. Si cela continue je pourrai bientôt relire les roués. Daignez me mander, je vous prie, si l'on a reçu au tripot quelque héros qui ait une voix sonore, la mine fière, la contenance assurée, la poitrine large, et remplie de sentiment, avec des yeux pleins de feu qui sachent parler plus d'un langage.
J'ai lu mes lettres secrètes; voilà de plaisants secrets! Le polisson qui a fait ce recueil n'y fera pas une grande fortune.
Je baise le bout de vos ailes avec une effusion de cœur remplie d'onction et de la plus respectueuse tendresse.
Comme cette lettre allait partir je reçois celle de mon ange du 11e xbre. On doit avoir reçu ma réponse au sujet de Luc, envoyée sous l'enveloppe de m. le duc de Praslin. J'ai vu depuis un des meurtriers appartenant à Luc, il confirme sa bonne santé, mais je crois qu'il ne sait rien ni pour ni contre. J'espère savoir dans peu quelque chose de plus positif.
Je suis très fâché de la mort de mad. de la Marche, car on dit qu'elle était très aimable.
J'aurai bien de la peine avec les roués. La scène du 3e acte étant tout en mines et en gestes, pourrait devenir comique si les personnages exprimaient en vers la crainte qu'ils ont d'être reconnus. Je crains l'arlequinade. D'ailleurs je ferai ce que je pourrai et non pas ce que je voudrai: tout ce que je puis dire c'est qu'il faut des hommes à la comédie, et que nous en manquons.
Permettez que je vous adresse ce petit billet pour le grasseyeur Grandval.
Je suis pénétré de toutes vos bontés.
NB: Voyez comme on se trompe dans ses conjectures! Vous pensiez que le tyran Richelieu serait fâché de l'hostie; je vous assure qu'il ne s'en soucie pas plus que du testament qu'il n'a jamais lu. Vous avez eu seulement la rage inutile de retrancher une anecdote historique très vraie et très importante. Vous pensiez qu'il approuverait les lettres patentes comiques, elles ont excité sa colère. Mais il faut espérer qu'il se rendra à la raison, et qu'il ne plaidera pas contre sa signature.