1764-12-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange, je réponds sur le champ à vôtre Lettre du 28e 9bre qui n'arriva qu'hier à Genêve, et que je n'ai reçue qu'aujourd'hui. Je suis toujours émerveillé et confondu, que vous n'aiez pas reçu par mr De Courteilles ou par mr l'abbé Arnaud, un paquet où étaient les provisions des dignités comiques pour Grandval, et les dlles d'Oligni et Lusi. Je vous en ai envoié un dernier double à l'adresse de mr De Courteilles.

Le prince a renoncé à la Librairie, et le marquis son frère m'a écrit qu'il faisait partir les éxemplaires dont Pierre Corneille a besoin.

Mr De Pingon a accepté l'arbitrage de l'ordre de Malthe. Ma petite famille et moi, nous vous faisons les plus tendres et les plus respectueux remerciements.

Je suis vôtre Lettre pas à pas, j'envoie demain made Denis au grand Tronchin, elle saura de quoi il est question. Je doute beaucoup qu'on l'ait consulté, car on ne veut pas passer pour malade; mais voicy ce que je vais faire; j'écrirai moi même au malade, et peut être je découvrirai de quoi il est question.

Vous êtes un véritable ange gardien d'avoir bien profité de l'apopléxie du sr Vengé. Ces tours là que vous me faittes quelquefois, échaufent mon cœur et le remplissent de reconnaissance; mais ils redoublent l'amertume que je sens d'être destiné à mourir sans baiser le bout de vos ailes. J'en dis autant à madame d'Argental. Vous ne me parlez point de sa santé, je présume par vôtre silence qu'elle est meilleure.

Mes yeux vous demandent grâce pour la revision de roués. J'use actuellement d'une eau qui me fait espérer que je serai au moins borgne; et alors, je relirai les roués de bon œil et de sang très froid. J'en jugerai comme de l'ouvrage d'un autre, et j'y travaillerai avec l'ardeur et le soin que vos ordres et vos bontés m'inspirent.

La requête de mon cher curé pour me voler mes dixmes est entre les mains du procureur général de Dijon; voilà tout ce que j'en sais. Je n'en suis pas mieux informé que des vingt édits qu'on enrégistre ou qu'on n'enregistre pas avec tant de cérémonie. Permettez mes divins anges, que je présente mes respects à mr le duc de Praslin.