1764-10-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Monseigneur mon héros, je ne sais où vous êtes.
Je ne sais où est made la Duchesse d'Eguillon qui m'a honoré de deux gros volumes, et d'un très joli petit billet. Permettez que je m'adresse à vous pour lui présenter mes remerciements. Souffrez que je vous parle du tripot de la Comédie qui tombe en décadence comme tant d'autres tripots. Il y a un acteur excellent, à ce qu'on dit, nommé Aufresne, garçon d'esprit, belle figure, bel organe, plein de sentiment. Il est actuellement à la Haye. Auteurs et acteurs, tout est en païs étranger.

Je me souviens d'avoir vu chez moi cet Aufresne qui me parut fait pour valoir mieux que Dufresne. Je vous en donne avis. Monsieur Le Premier gentilhomme de la Chambre fera ce qui lui plaira.

Il y a dans le monde quelques exemplaires d'un livre infernal, intitulé Dictionaire philosophique portatif. Ce livre affreux enseigne d'un bout à l'autre, à s'anéantir devant Dieu, à pratiquer la vertu, et à croire que deux et deux font quatre. Quelques dévots, comme les Pompignans, me l'attribuent, mais il me font trop d'honneur, il n'est point de moi, et si je suis un geai je ne me pare point des plumes des paons.

Il y a un autre livre bien plus diabolique, et fort difficile à trouver, c'est le célèbre discours de l'Empereur Julien contre les Galiléens ou Chrétiens, très bien traduit à Berlin par le marquis d'Argens, et enrichi de commentaires curieux. Et comme vous êtes curieux de ces abominations, pour les réfuter, je tâcherai de concourir à vos bonnes œuvres en faisant venir de Berlin un éxemplaire pour vous l'envoier, si vous me l'ordonnez.

Je conçois à présent que c'est au printemps que mon héros conduira sa très aimable fille sur le chemin d'Italie, et si je ne suis pas mort dans ce temps là je me ranimerai pour me mettre à leurs pieds. Le sous signé V n'est pas dans un moment heureux pour ses yeux; il présente son respect à tâton.

V.