1765-02-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Mon héros, si vous êtes assez sûr de vôtre fait pour qu'on hazarde de vous envoier le livre diabolique que vous demandez, les gens que j'ai consultés disent qu'ils vous en feront tenir un éxemplaire par la voie de Lyon.
Cela est très râre, mais on en trouvera pour vous. Je serais bien fâché d'ailleurs, qu'on me soupçonnât d'avoir la moindre part au philosophique portatif. Mr le Duc De Praslin qui connait parfaittement mon innocence, a assuré le Roy que je n'étais point l'auteur de ce pieux ouvrage; ainsi, n'allez pas, s'il vous plait, me déffendre comme Scaramouche deffendait Arlequin, en avouant qu'il était un ivrogne, un gourmand, un débauché, attaqué de maladies honteuses, et s'excusant envers Arlequin, en lui disant que c'était des fleurs de rhétorique.

Je n'entends rien aux plaintes que les Bretons font de moi; elles sont apparemment aussi bien fondées que leurs griefs contre Mr le Duc D'Aiguillon. Je n'ai jamais rien écrit de particulier sur la Bretagne dans mes bavarderies historiques. Les Périgourdins et les Basques seraient aussi bien fondés à ses plaindre.

A l'égard du tripot, il est vrai que j'ai demandé mon congé, attendu que je suis entré dans ma soixante et douzième année, en dépit de mes estampes, qui par un mensonge imprimé me font naître le 20e 9bre quand je suis né le 20e février. Il est vrai que la faction ennemie du Conseil de Genêve, trouva mauvais, il y a quelques années, que les enfans des magistrats de la plus illustre et de la plus puissante république du monde se déshonorassent au point de venir jouer quelquefois la comédie chez moi dans le petit et prophane roiaume de France, mais on se moqua de ces polissons; ce n'est pas assurément pour eux que j'ai détruit mon théâtre, c'est pour avoir des chambres de plus à donner, et pour loger vôtre suitte si jamais vous accompagnez Madame La Comtesse d'Egmont sur les frontières d'Italie. Je me défais de mes Délices par une autre raison, c'est qu'aiant la plus grande partie de mon bien sur Mr le Duc De Virtemberg, et mes affaires n'étant pas absolument arrangées avec lui, j'ai craint de mourir de faim aussi bien que de vieillesse. Pardonnez, mon héros, la naïveté avec laquelle je prends la liberté de vous exposer toutes mes pauvres petites misères.

Je vous dirai toujours très véritablement, que je m'adressai à Grandval, que c'est à lui seul que j'écrivis, en vertu du privilège que vous m'aviez confirmé, que je mis dans ma Lettre ces propres mots, avec l'approbation de messeigneurs les premiers gentilshommes de la chambre.

Je vous prie de considérer que je puis avoir besoin avant ma mort, de faire un petit voiage à Paris, pour mettre ordre aux affaires de ma famille; que peutêtre c'est un moien d'éxciter quelques bontés pour moi, que de procurer quelques petits succès à mes anciennes sottises théâtrales, et que je ne peux obtenir ce succèz qu'avec les meilleurs acteurs. Je me mets entièrement sous vôtre protection. On m'a mandé que Nanine avait été jouée détestablement et reçue de même. Vous savez que tout dépend de la manière dont les pièces sont représentées, et vous ne voudriez pas m'avilir. Voiez donc si vous voulez me permettre de vous envoier la distribution de mes rôles d'après la voix publique qu'il faut toujours écouter. Aiez pitié d'un vieux quinze vingt, qui vous est attaché depuis cinquante années avec le plus tendre respect.

V.