1764-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je reçois la belle Lettre ironique de mon cher frère du 25e xbre au soir, avec la lettre de frère Thiriot, et ce qui plait aux dames, et l'éducation des filles.
Cette éducation des filles était destinée à figurer avec d'autres éducations, car nous avons aussi élevé des garçons. Il est vrai que je m'amuse cet hiver à faire des contes pour réjouïr les soirs ma petite famille. Mais frère Cramer a fait une action abominable de copier chez moi l'éducation des filles, et de l'envoier à Paris. Il ne faut pas fatiguer le public. Je me souviens trop que La Serre

Volume sur volume incessamment désserre.

Et frère Thiriot, à qui d'ailleurs je fais réparation d'honneur, m'écrit fort sensément qu'il faut user de sobriété.

Vous ne manquerez pas de contes, mes frères, vous en aurez, et de très honnêtes. Un peu de patience, s'il vous plait.

Aureste, vôtre Lettre du 25 est encor plus consolante qu'ironique. Je vois qu'on ne brûle ni l'Evêque d'Alétopolis, ni Quakre, ni tolérance. Mais avez vous l'arrêt du parlement de Toulouse contre le duc de Fitzjames? Je vous l'envoie, mes frères; la pièce est râre, et vaut mieux qu'un conte.

Vous remplissez mon âme d'une sainte joie en me disant que le sr Evremond perce dans le monde; il fera du bien, malgré les fautes horribles d'impression. Béni soit à jamais celui qui a rendu ce service aux hommes!

On parle beaucoup d'une œuvre toute différente, c'est le mandement de vôtre archevêque. On le dit imprimé clandestinement comme les contes de Lafontaine, et on dit qu'il ne sera pas si bien reçu. Pourai-je obtenir un de ces mandements et un anti-financier? Si par hazard vous aviez mis par écrit vos idées sur la finance, je vous avoue que j'en serais plus curieux que de tous les antifinanciers du monde. Je m'imagine que vous avez des vues plus saines, et des connaissances plus étendues que tous ceux qui veulent débrouiller ce chaos.

J'aprends que le parlement de Dijon vient de déffendre par un arrêt, de paier les nouveaux impôts. J'avoue que je suis bien mauvais serviteur du roi, car j'ai tout paié.

Permettez moi que je vous adresse cette Lettre pour Gui Duchêne, au Temple du goût. Il y a, par parenthèse, un vers d'oublié dans ce qui plait aux Dames.

Et vous, Madame, en ce palais de gloire,
oub[l]ié: Quand vous couchez côte à côte du Roi,
Dormez vous mieux, aimez vous mieux que moi? 

Adieu mon cher frère. St Evremont est un très grand saint.