1769-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Vous me mandez par vôtre Lettre du 25 février que ma dernière Lettre tenait un peu de l'aigredoux.
S'il y a du doux, mon cher marquis, il est pour vous, s'il y a de l'aigre il est pour toutes les sottises de Paris, pour le mauvais goût qui y règne, pour les plates pièces qu'on y donne, pour les plats auteurs qui les font, et pour les plats acteurs qui les jouent, pour la décadence en toutes choses qui fait le caractère de nôtre beau siècle.

Je sens pourtant que j'aimerais encor le tripot de la comédie si j'étais à Paris, mais je vous aimerais bien d'avantage. Ce serait une consolation pour moi de parler avec vous des impertinences qu'on a la bêtise d'aplaudir sur le théâtre où mlle Le Couvreur a joué Phêdre.

A l'égard des autres bétises je ne vous en parle point, parce que je les ignore, Dieu merci. Je suis enterré sous la neige au mois de mars. Je me réchaufe dans une belle fourure de martre Zibeline que l'Impératrice Catherine m'a envoiée avec son portrait enrichi de diamants, et une boëte tournée de sa main, avec le recueil des loix qu'elle a données à son vaste empire. Tout celà m'a été aporté par un prince qui est capitaine de ses gardes. Je doute qu'une Lettre d'un bureau de ministre puisse être plus agréable. Une partie de l'Europe me console d'être né Français et de n'être plus que Suisse.

Je vous embrasse bien tendrement.

V.