1775-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas de Lisle.

Vous êtes fait, Monsieur, pour vivre avec Monsieur Le Duc des Deuxponts, pour vivre à Paris, pour vivre à Versailles, et moi pour mourir à Ferney.
Je vous rends grâce, je vous bénis d'égaier mes dernières heures et d'échaufer mes neiges par vos lettres charmantes.

Oui vraiment, la plus riche héritière de France, la plus jeune et non pas la plus belle, vient de mourir à Genêve et d'être enterrée par mon curé. Je me cache quand je vois mourir la jeunesse; je suis alors honteux d'être en vie.

J'ai lu tous les factums dont vous me parlez, et celui de Mr le Maréchal de Richelieu, fait par un Tronchet avocat, qui est bien le plus bavard, le plus plat, et le plus confus écrivain qui ait jamais barbouillé du papier. L'extrême ennui qu'il procure ferait perdre le procez à Mr De Richelieu s'il était perdable. Il est clair, malgré toute l'obscurité de l'avocat, que Made de st Vincent est une détestable carogne. Made de Sévigné ne s'attendait pas à une pereille petite fille.

Vous me parlez de tous les mauvais ouvrages que vous avez lus. Je vous en ferai tenir un plus mauvais encor. Vous aurez la Tragédie de Don Pèdre dont on n'a tiré que peu d'éxemplaires. Dites moi si elle arrivera à bon port sous l'enveloppe de M: Le Duc De Cogny.

Comment avez vous imaginé que vous auriez des montres à répétition garnies de diamants pour dix huit Louis? dans quel tome des mille et une nuits avez vous lu cette anecdote? Vous aurez pour dix-huit Louis d'excellentes montres à répétition garnies de marcassites, aussi brillantes que des diamants; et ces mêmes montres vous coûteraient quarante Louis à Paris. Donnez moi vos ordres, vous serez servi; vous aurez de très belles montres, et de très mauvais vers quand il vous plaira.

Made Denis vous remercie comme moi, de vos lettres, elle ne leur préfère que votre conversation.

Je vois bien que vous n'avez reçu aucune de mes lettres aux deux ponts. Je vous écris de Ponto.