1752-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Henri Samuel Formey.

J'attendray icy monsieur où je me trouve très bien les ouvrages sublimes que vous voulez bien m'annoncer.
Ce ne sont pas là des ouvrages de plagiaire comme la Henriade, Alzire, Brutus et Catilina, et je ne doute pas qu'on ne prodigue dans les journaux pleins d'impartialité et de goust les plus justes éloges à ces divins receuils qui passeront à la dernière postérité.

Je ne sçais pas ce que c'est que cette histoire des progrès, ou de la décadence ou de l'impertinence de l'esprit humain. J'avais pour mon instruction particulière, fait une histoire universelle depuis Charlemagne; on en a imprimé des fragments informes dans des feuilles hebdomadaires, ou dans des mercures, on m'a volé tout ce qui regarde les arts, les sciences, et la partie historique depuis François premier jusqu'au siècle de Louis 14 qui terminait ce tableau. C'est tout ce que je sçai. Il y a deux ans que mon manuscrit est volé. Si vous aviez quelque nouvelle de cet ouvrage que vous dites annoncé depuis peu, vous me feriez plaisir monsieur de m'en instruire, et je prendrais les mesures que je pourais, pour ratraper mon manuscrit si cependant cela en vaut la peine. Vanitas vanitatum. Tous ces receuils assomants de mémoires pour l'esprit humain, d'histoires des sciences, de projets pour les arts, de compilations, de discours vagues, d'hipotèses absurdes, de disputes dignes des petites maisons, tout cela tombe dans le goufre de l'oubli. Il n'y a que les ouvrages de génie qui restent. L'Orlando furioso a enterré plus de dix mille volumes de scolastiques. Aussi je lis l'Arioste et point du tout Scot et st Tomas, etc. etc. etc. Portez vous bien, il n'y a que cela de bon. Tuus sum, tua non tueor, quia nihil tueor, sed tibi addictus ero.

V.