25e aoust 1763
Monsieur,
Pax christi.
Je vois avec une sainte joie combien votre cœur est touché des vérités sublimes de notre sainte religion, et que vous voulez consacrer vos travaux et vos grands talents à réparer le scandale que vous avez pu donner, en mettant dans vôtre fameux livre quelques vérités d'un autre ordre, qui ont paru dangereuses aux personnes d'une conscience délicate et timorée, comme messieurs Omer Joli de Fleuri, messrs Gauchat, Chaumeîx, et plusieurs de nos pères.
Les petites tribulations que nos pères éprouvent aujourd'hui, les affermissent dans leur foi; et plus nous sommes dispersés et plus nous faisons de bien aux âmes. Je suis à portée de voir ces progrès étant aumônier de mr le rhésident de France à Genêve; je ne puis assez bénir dieu de la résolution que vous prenez de combattre vous même pour la religion chrétienne, dans un temps où tout le monde l'attaque et se moque d'elle ouvertement. C'est la fatale philosophie des Anglois qui a commencé tout le mal. Ces gens là, sous prétexte qu'ils sont les meilleurs matématiciens, et les meilleurs phisiciens de l'Europe, ont abusé de leur esprit, jusqu'à oser éxaminer les mistères. Cette contagion s'est répandue partout. Le dogme fatal de la tolérance infecte aujourd'hui tous les esprits, les trois quarts de la France, au moins, commencent à demander la liberté de conscience, on la prêche à Genêve.
Enfin, monsieur, figurez vous, que lorsque le magistrat de Genêve n'a pas pu se dispenser de condamner le roman de mr Jean Jaques Rousseau intitulé Emile, six cent citoiens sont venus par trois fois protester au conseil de Genêve, qu'ils ne souffriroient pas que l'on condamnât sans l'entendre, un citoien, qui avoit écrit à la vérité contre la religion chrétienne, mais qu'il pouvoit avoir ses raisons, qu'il fallait les entendre, qu'un citoien de Genêve peut écrire ce qu'il veut, pourvu qu'il donne de bonnes explications.
Enfin, Monsieur, on renouvelle tous les jours les attaques que l'empereur Julien, les philosophes Celse et Porphire, livrèrent dès les premiers temps à nos saintes vérités. Tout le monde pense comme Baile, Descartes, Fontenelle, Shaftesburi, Bolingbroke, Colins, Wolston; tout le monde dit hautement qu'il n'y a qu'un dieu, que la sainte vierge Marie n'est pas mère de dieu; que le st esprit n'est autre chose que la lumière que dieu nous donne. On prêche je ne sçais quelle vertu, qui ne consistant qu'à faire du bien aux hommes est entièrement mondaine, et de nulle valeur. On oppose au pédagogue chrétien et au pensez-y bien, livres qui faisoient autrefois tant de conversions, de petits livres philosophiques qu'on a soin de répandre par tout adroitement. Ces petits livrets se succèdent rapidement les uns aux autres. On ne les vend point, on les donne à des personnes afidées, qui les distribuent à des jeunes gens et à des femmes. Tantôt c'est le sermon des cinquante, qu'on attribue au roi de Prusse; tantôt c'est un extrait du testament de ce malheureux curé Jean Mêlier, qui demanda pardon à dieu en mourant d'avoir enseigné le christianisme; tantôt c'est je ne sais quel catéchisme de l'honnète homme, fait par un certain abbé Durand. Quel titre, monsieur, que le catéchisme de l'honnête homme, comme s'il pouvait y avoir de la vertu hors de la religion catholique!
Opposez vous à ce torrent, Monsieur, puisque dieu vous a fait la grâce de vous illuminer. Vous vous devez à la raison et à la vertu indignement outragées: combattés les méchants, comme ils combattent, sans vous compromettre, sans qu'ils vous devinent. Contentez vous de rendre justice à notre sainte religion d'une manière claire et sensible, sans rechercher d'autre gloire que celle de bien faire. Imitez nôtre grand roi Stanislas, père de nôtre illustre reine, qui a daigné quelquefois faire imprimer des petits livres chrétiens entièrement à ses dépends. Il eut toujours la modestie de cacher son nom, et on ne l'a sçu que par son digne secrétaire mr de Solignac. Le papier me manque, je vous embrasse en Jesus christ.
Jean Patourel cydevant jésuite