1762-10-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mes frères et maîtres ont donc envoyé leur réponse à m. de Shovalof.
Il est plaisant qu'un Russe favorise des philosophes français, et il est bien horrible que des Français persécutent ces philosophes. J'avais déjà assuré la cour russe de la reconnaissances des refus de nos sages.

Mes chers frères, continuez à éclairer le monde que vous devez tant mépriser. Que de biens on ferait si on s'entendait Jean Jacques eût été un Paul s'il n'avait pas mieux aimé être un Judas. Helvétius a eu le malheur d'avouer un livre qui l'empêchera d'en faire d'utiles. Mais j'en reviens toujours à Jean Mêlier. Je ne crois pas que rien puisse jamais faire plus d'effet que le testament d'un prêtre qui demande pardon à dieu, en mourant, d'avoir trompé les hommes. Son écrit est trop long, trop ennuyeux, et même trop révoltant; mais l'extrait est court, et contient tout ce qui mérite d'être lu dans l'original.

Le sermon des cinquante attribué à La Métrie, à Dumarsais, à un grand prince, est tout à fait édifiant. Il y a vingt exemplaires de ces deux opuscules dans le coin du monde que j'habite. Ils ont fait beaucoup de fruit. Les sages prêtent l'évangile aux sages; les jeunes gens se forment, les esprits s'éclairent. Quatre ou cinq personnes à Versailles ont de ces exemplaires sacrés. J'en ai attrapé deux pour ma part, et j'en suis tout à fait édifié. Pourquoi la lampe reste-t-elle sous le boisseauà Paris? Mes frères, in hoc non laudo. Le brave libraire qui imprime des factums en faveur de l'innocence, ne pourrait il pas aussi en imprimer en faveur de la vérité?

Quoi! la gazette ecclésiastique s'imprimera hardiment, et on ne trouvera personne qui se charge de Mêlier? J'ai vu Wolston à Londres vendre chez lui vingt mille exemplaires de son livre contre les miracles. Les Anglais, vainqueurs dans les quatre parties du monde, sont encore les vainqueurs des préjugés. Et nous, nous ne chassons que des jésuites, et ne chassons point les erreurs. Qu'importe d'être empoisonné par frère Berthier ou par un janséniste? Mes frères, écrasez cette canaille. Nous n'avons pas la marine des Anglais, ayons du moins leur raison. Mes chers frères, c'est à vous à donner cette raison à nos pauvres Français.

Thiriot est parti pour embrasser nos frères. Ne pourrais je pas rendre quelque service à ce bon libraire Martin ou Merlin? car je n'ai pu lire son nom.

J'embrasse mes frères en Confucius, en Platon, &a.

Ah, l'infâme!

Je prie mon très cher frère de vouloir bien m'envoyer au plus vite le dictionnaire des hérésies en deux volumes in-douze.

Je voudrais bien savoir ce que je lui dois.

Voici une lettre importante pour m. d'Alembert sur laquelle il conférera avec mon cher frère.