1763-04-02, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Je serois au désespoir si Vous pouviés encor devenir prophète, surtout si Vous l'étiés dans Votre dernière aimable lettre dont Vous venés Monsieur de m'honorer.
Deux choses à cet égard me r'assurent, que je ne Vous nomerai pas s'il Vous plait par de très bones raisons. Ce que je puis Vous dire sans réserve et avec d'autant plus de plaisir, c'est que je souhaite ardament que Vous viviés encor bien longtems pour l'honeur de l'humanité et du bonheur des infortunés Calas. Je me fais une vraye satisfaction, et je Vous ai Monsieur une obligation infinie de vouloir me procurer l'ocasion, de pouvoir contribuer au gain de ce procès. Pour cette fin Monsieur Vous recevrés au premier jour vingt quatre Louis de ma part par les mains des Ohlenschläger de Frankfurth et Vous m'obligerés beaucoup, au cas que cette Some Vous paroisse trop mince de m'en avertir pour pouvoir y ajouter. Il y a déjà près un Ans que la même Some doit Vous être parvenue, par le même canal et de ma part aussi pour l'ouvrage du grand Corneille. Come Vous n'en avés point fait mention dans aucune de Vos lettres je suis en doute si vous l'avés reçue. De grâce Monsieur daignés me dire ce qui en est. Le rôle que le grand Frederic joue dans ce monde devient maintenant plus que brillant car il le met du moins au niveau des Trajans, des Titus. Il ne s'ocupe du jour à la nuit qu'à procurer le bonheur de ses peuples. Pendant tout le coure de cette terible guerre il n'a pas augme[n]té les impôts de ses sujets et la première chose qu'il a faite pour eux après la paix a été de leur faire grâce pour six mois des tailles payables. Il ajoute à cette faveur celle de fournir à chaque terre soit de gentilhome soit de païsant, celle de leur fournir les bestiaux qui leur ont été pris par l'enemi. Plus de quarente mille chevaux d'artillerie leur ont été donés gratis. Tous ses soins ne sont tournés que pour faire r'entrer l'abondance dans ses états, pour faire fleurir le comerce, pour soulager ses peuples. Aussi jouit il déjà des fruits de son travail, car il est adoré dans toute l'étendue de ses Provinces. Voilà ce qui s'apelle jouir dignement du repos qu'il a procuré à toute l'Allemagne d'une manière si glorieuse pour lui. Que n'ête Vous Monsieur l'historien de ce grand home! Ses faits seroient digne de Votre plûme elloquente. J'ai envoyée la lettre de la Comtesse de Baswiz à son adresse, elle sera bien flattée Monsieur de Votre souvenir. Qui est ce qui [ne] le seroit pas quand on a l'avantage de Vous conoitre? Il fait assurément ma plus chère consolation. Soyés en persuadés come de la continuation de tous les sentimens que Vous savés si bien inspirer. Mes enfans, le Duc et la chère grande Maitresse me chargent tous d'une infinité d'assurences d'estime, d'admiration et d'amitié; je fais chorus à tous ces sentimens et suis de coeur et d'âme Votre amie et servante

LD