J'ai lu, monsieur, la lettre de votre bacha; tout ce qui m'étonne, c'est que quand il fut exilé dans l'Asie mineure, il n'alla pas servir le sophi de Perse Thamas Kouli Kan. Il aurait pu avoir le plaisir d'aller à la Chine en se brouillant successivement avec tous les ministres. Sa tête me paraît avoir eu plus besoin de cervelle que d'un turban. Il y avait un peu de folie à vouloir se battre avec le prince Eugène, président du conseil de guerre; c'est à peu près comme si un de nos officiers appelait en duel le doyen des maréchaux de France. Que ne proposait il aussi un duel au grand vizir? Cependant, on pourrait tirer quelque parti de sa lettre, en élaguant les inutilités, en adoucissant les choses flatteuses qu'il dit de notre ambassadeur mer de Villeneuve, et en donnant quelques coups de lime au style grivois du bacha; on lui passera tout, parce qu'il était un homme aimable.
Je voudrais bien être à portée, monsieur, de vous témoigner avec quels sentiments respectueux j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire
aux Délices par Genêve ce 18 mars 1763