[February 1763]
Je suis très fâché monsieur, que vous soyez compris dans la réforme, mais consolez vous, la France a la guerre tous les sept ans, et pour peu que la bonne volonté vous dure, vous exercerez le grand art de faire tuer du monde méthodiquement. Je me croirais très heureux, très honoré, et je me donnerais les airs d'un homme considérable si je pouvais recevoir quelques uns de vos ordres, et être à portée de faire parvenir à mer le duc de Choiseuil, la commission que vous me donneriez. Vous savez ce que c'est que les faibles bontés d'un ministre pour un pauvre reclus de mon espèce. Il souffre quelquefois que je lui écrive, et c'est très rarement; je suis confondu, comme de raison, dans la foule de ceux dont il se souvient; je ne dois pas en vérité prétendre davantage; mais s'il se présentait quelque occasion où je pusse, sans faire l'insolent, être votre commissionnaire, je ne manquerais pas de vous obéir. Je recevrai avec reconnaissance le manuscrit du bacha de Bonneval que vous voulez bien m'offrir et j'en ferai l'usage que vous ordonnerez. Je vous avoue que je serais curieux de savoir les motifs de sa conversion à la foi musulmane. Apparemment qu'un brave guerrier comme lui, a été plus touché des conquêtes de Mahomet que de l'humilité de Jésus Christ; il y a je ne sais quoi dans ce Mahomet qui impose; les religions sont comme les jeux du tric-trac et des échecs, elles nous viennent de l'Asie. Il faut que ce soit un pays bien supérieur au nôtre, car nous n'avons jamais inventé que des pompons et des falbalas, tout nous vient d'ailleurs, jusqu'à l'inoculation.
Je n'ai pas l'honneur de vous répondre de ma main, parce que je deviens aveugle comme le vieux Tobie.
Si vous avez la bonté de m'envoyer ce manuscrit, je vous supplie de la faire remettre à Mer Dargental, envoyé de Parme, rue de la Sourdière à Paris.
J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux et les plus vrais, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
V . . . .