1771-01-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

L’univers admire vos fêtes,
Nos Français en sont confondus:
Et je les admire encore plus
A la suite de vos conquêtes.

Ce qui est encore au dessus de la magnificence, c’est l’esprit. Il n’y a jamais eu de fête imaginée avec plus de génie, mieux ordonnée, plus galante et plus noble. Nous avons eu a Paris des fusées et une illumination pour le mariage du dauphin de France et de la fille d’une impératrice. Il n’y a pas un prodigieux effort dans des bouts de chandelles et dans des fusées volantes. Mais en récompense il y régnait tant d’ordre, qu’il y eut plus de monde tué et blessé que vous n’en avez eu dans votre première victoire remportée sur les Turcs.

Il est vrai que j’aurais voulu qu’Apollon eût présenté à votre majesté impériale l’étendard de Mahomet, et l’aigrette de héron que le gros Moustapha porte à son gros turban; mais ce sera pour cette année à la fin de la campagne.

Les choses sont bien changées chez nous. Les croisades furent autrefois commencées en France. Nous sommes à présent les meilleurs amis des infidèles.

La France à l’église échappe:
Nous avons pris le parti
De secourir le mouphti
Et de dépouiller le pape.

Pour moi qui suis trop peu de chose pour oser décider entre les églises grecque, latine et musulmane, je ne m’occupe que de votre gloire dans ma retraite. J’aime mieux vos fêtes que celles de st Nicolas et de st Basile, de st Barjone surnommé Pierre, et même que celle de Bairam.

Si j’ai pour sainte Catherine
Un peu plus de dévotion
C’est parce que mon héroïne
Descend jusqu’à porter son nom.

Passe pour Hercule. Voilà un digne saint celui là! aussi est il le patron d’un comte d’Orloff, et de tous les quatre. On dit qu’un de ces saints vient de faire encore une de ces actions qu’on ne trouve pas dans la légende, qu’ayant pris un vaisseau turc où étaient les meubles et les domestiques d’un bacha, il les a renvoyés à leur maître.

Non seulement vos courtisans sont les maîtres des Turcs dans l’art de la guerre, mais ils leur apprennent à être polis. Voilà du véritable héroïsme, et c’est vous qui l’inspirez.

Vous voilà, madame, à mon avis, la première puissance de l’univers; car je vous mets sans difficulté au dessus du roi de la Chine votre proche voisin, quoiqu’il fasse des vers, et que je lui aie écrit une épître qu’il ne lira pas. Que votre majesté impériale jouisse longtemps de sa gloire et de son bonheur!

Sans les soixante et dix-huit ans qui me talonnent, Apollon m’est témoin que je n’aurais pas établi une colonie d’horlogers dans mon village. Elle serait actuellement vers Astracan où je l’aurais conduite, elle ne travaillerait que pour votre majesté.

Ma colonie fait réellement d’excellents ouvrages. Elle vous en fera parvenir quelques uns incessamment, et vous verrez qu’on ne peut travailler mieux ni à meilleur compte. Vous dépensez trop en canons et en vaisseaux pour ne pas joindre à vos magnificences une juste économie qui est au fond la source de la grandeur.

Vivez, régnez, madame, pour la gloire de la Russie, et pour l’exemple du monde.

Que votre Majesté impériale daigne conserver ses bontés à son admirateur et à son sujet par le cœur.

L’ermite de Ferney