au camp de Philisbourg [1 July 1734]
J'ai eu l'honneur, madame, de rendre les lettres dont j’étais chargé.
Je n'ai pu avoir encore celui de voir m. de Chambonin, parce que ces messieurs les dragons sont à la droite à deux lieues de l'infanterie où je suis. Il y a apparence que le prince Eugène va occuper les Français à tout autre chose qu’à écrire des lettres dans leurs tentes. Les armées sont en présence. On s'attend à tout moment à une bataille sanglante. Les Français se trouvent entre Philisbourg, le Rhin & les Allemands. Les troupes marquent une grande ardeur; elle est étonnante; on jure qu'on battra le prince Eugène; on ne le craint pas; mais à bon compte, on se retranche jusqu'aux dents; on a des lignes, un fossé, des puits & un avant-fossé. C'est une invention nouvelle qui paraît fort jolie, & très propre à faire casser le cou à des gens qui viennent attaquer des lignes. Toutes les apparences sont que le prince Eugène viendra se présenter au passage des puits & des fossés vers les quatre heures du matin, demain, vendredi, jour de la vierge. On dit qu'il est fort dévot à Marie, & qu'elle pourra bien le favoriser contre m. d'Asfeld qui est janséniste. Vous savez, madame, que vous autres jansénistes, êtes soupçonnés de n'avoir pas assez de dévotion pour la vierge. Vous vous êtes moqués de la congrégation des jésuites & du Paradis ouvert à Pélagie par cent & une dévotions à la mère de dieu. Nous verrons demain pour qui se déclarera la victoire. En attendant, on se cantonne à force; les lignes de notre camp sont bordées de 80 pièces de canon, qui commencent à jouer. Hier on acheva d'emporter un certain ouvrage à corne dont m. de Belle-Isle avait déjà gagné la moitié. Douze officiers aux gardes ont été blessés à ce maudit ouvrage. Voilà, madame, la folie humaine dans toute sa gloire & dans toute son horreur. Je compte quitter incessamment le séjour des bombes & des boulets, pour aller profiter des bontés dont vous m'honorez. Il me semble que je me sens mille fois plus le goût pour la vertu, depuis que je vous ai fait ma cour.