13e avril 1771, à Ferney
Monsieur,
Une longue maladie, éffet très naturel de mon âge et du climat que j’habite, m’a privé du plaisir de vous remercier de toutes vos bontés.
La retraitte de Mr le Duc de Choiseul n’a pas laissé plus de santé à la ville de Versoy qu’il voulait bâtir, à ma colonie qu’à moi même. Nous sommes tous très malades, mais j’espère que l’état se portera bien malgré la prodigieuse quantité de médecins qui se présentent pour le traitter. Il parait que le Roi qui est meilleur médecin qu’eux a entrepris sa cure et qu’il y réussira. Il ne m’apartient pas de dire des nouvelles à Vôtre Excellence, elle sçait mieux que moi celles de la France et de L’Europe, permettez moi seulement de vous en dire une, digne de la générosité Espagnole et de la galanterie française; je la tiens de la propre main de L’Impératrice de Russie.
Le Comte Aléxis Orlof aiant pris un vaisseau dans lequel était tout la famille, les domestiques et les éffets d’un Bacha, les lui avait renvoiez à Constantinople. Ce bacha se trouvant en dernier lieu dans l’armée du grand vizir, un officier Russe y vint pour traitter de l’échange de quelques prisoniers. Le Bacha lui remit sans rançon tous ceux qui lui apartenaient, le combla de présents, et le pria d’assurer le Comte Orlof qu’il serait toute sa vie son serviteur, son admirateur et son frère.
Quand je songe que cet empire Russe est né de mon tems, et que je suis beaucoup plus vieux que Petersbourg, je ne reviens point de ma surprise. C’est encor un des sujets de mon étonnement que L’Impératrice ne manque d’argent ni pour une guerre si dispendieuse, ni pour les fêtes qu’elle a données au prince Henri de Prusse. Cette princesse daigne accepter des montres de ma Colonie, ainsi que M: Le Comte D’Aranda, mais je n’en envoie point au sultan Moustapha à qui les heures doivent paraître bien longues.
J’ai l’honneur d’être avec un respect égal à ma reconnaissance
Monsieur
De Vôtre Excellence
Le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire