1770-10-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gottlob Louis von Schönberg, Reichsgraf von Schönberg.

Mon misérable état, monsieur, ne me permet pas d’écrire aussitôt et aussi souvent que je le voudrais à l’homme du monde qui m’a le plus attaché à lui. M. d’Alembert me console en me parlant souvent de vous.
Me Denis, ma garde malade, passe ses jours à vous regretter.

Puisque vous avez été touché, monsieur, de la requête de nos pauvres esclaves francscomtois, permettez que je vous en envoie deux exemplaires. Je suis persuadé que mgr le duc d’Orléans ne souffrirait pas cette oppression dans ses domaines.

Vous savez les succès inouïs des Russes contre les Turcs. Ils perdaient une bataille au pied du mont Caucase dans le temps que le grand vizir était battu au nord du Danube, et que la flotte du capitan bacha était détruite dans la mer Egée. On croit lire la guerre des Romains contre Mithridate. D’ailleurs l’Araxe, le Cirus, le Phase, le Caucase, la mer Egée, le Pont-Euxin sont de bien beaux mots à prononcer en comparaison de tous vos villages d’Allemagne auprès desquels on a donné tant de combats malheureux ou inutiles.

Vous venez du moins de réduires les habitants de Tunis, successeurs des Carthaginois, à demander la paix, que dieu puisse vous conserver tant à la cour que sur les frontières.

Il y a deux choses encore pour lesquelles je m’intéresse fort, ce sont les finances et les beaux arts. Je voudrais ces deux articles un peu plus florissants.

Pour le Système de la nature qui tourne tant de têtes à Paris, et qui partage tous les esprits autant que le menuet de Versailles, je vous avoue que je ne le regarde que comme une déclamation diffuse, fondée sur une très mauvaise physique. D’ailleurs parmi nos têtes légères de Français il y en a bien peu qui soient dignes d’être philosophes. Vous l’êtes, monsieur, comme il faut l’être, et c’est un des mérites qui m’attachent à vous avec la tendresse la plus respectueuse.

Dès qu’il gèlera, nos gelinottes iront vous trouver.

Voltaire