ce 22me juin [1762]
Monsieur,
. . . Je crois voir dans trois causes la source de cette sentence Infamante; L'une est l'Engouëment où l'on est de Mr de Voltaire, La seconde qu'on aura crû faire sa cour à celle de Versailles, et on aura voulu en 3me Lieu réparer par une démarche éclatante le mal que Mr D'Alembert peut nous avoir fait par l'article Genêve du Dictionnaire Encyclopédique.
Le 1er Motif ne peut se justifier par aucun Endroit, il n'est jamais permis de flétrir la Réputation d'un Autheur pour augmenter celle de son Adversaire, et encore moins à un tribunal d'entrér dans des vuës aussi odieuses; En vérité si cette sentence est émanée de Fernex, les moyens que les Adhérents de Mr de Voltaire employent pour étayer sa Réputation me paraissent bien plus propres à la détruire qu'à y contribuer; Je comprends qu'il faut que cette faction ait prévalu dans le conseil, car comment ne se serait il pas aperçu de ce qu'il y a d'inconséquent dans sa sentence!
Ce Tribunal flétrit par un Jugement infamant un citoyen de la République qui a jusqu'à présent Bien mérité d'Elle par ses démarches et par ses Ecrits. On le condamne sur des Matières sur lesquelles une Explication plus ample eût peut-être ôté tout équivoque, pendant que le même Tribunal permet qu'on Imprime avec l'aprobation publique les ouvrages d'un homme qui insulte à Genêve et à la Religion qu'on y professe, qui infecte tout ce qui l'environne du Poison de ses sentiments erronés, et qui a fait à Geneve plus de Déistes que Calvin n'y a fait de protestants; Et en faveur de qui le conseil fait-il cette distinction? en faveur d'un étranger auquel on a accordé une Retraite dans un tems où toute l'Europe la lui refusait; J'avoue que cette sentence nous couvre de confusion si l'esprit de parti l'a dictée, et qu'en ce cas elle fait plus de tort à Voltaire et à ses partisans qu'à Rousseau contre lequel elle a été exécutée . . . .
Je suis avec une Parfaite considération,
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur.