1760-09-30, de Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul à Voltaire [François Marie Arouet].

Ecrivez vous toujours au roi de Prusse, mon cher solitaire, ou plutôt ce prince répond il à vos lettres?
Si cela était, vous me rendriez un grand service de tâcher de découvrir le sens d'une phrase d'une lettre de s. m. prussienne au marquis d'Argence, qui a été prise par des troupes légères et qui m'est revenue.

Le roi de Prusse après avoir parlé assez naturellement de sa situation que nous connaissons comme lui, après avoir dit quelque chose contre la France ajoute: ‘Je sais un trait du duc de Choiseul que je vous conterai lorsque je vous verrai, jamais procédé plus fol ni plus inconséquent n'a flétri un ministre de France depuis que cette monarchie en a.’

J'ai montré comme de raison cette lettre au roi et nous avons cherché quel peut être le trait si flétrissant qui m'est reproché par le roi de Prusse; j'avoue que je ne me suis trouvé ni dans mon ministère ni dans ma vie aucune action qui puisse mériter cette épithète odieuse, mais il est possible qu'à mon insu et contre la volonté du roi, on ait manqué aux égards qui sont dus au roi de Prusse; c'est ce motif qui fait désirer à s. m. de connaître quel est le sujet de plaintes pour le réparer sans différer, ou en donnant une explication satisfaisante à s. m. p., pour laquelle, malgré tout ce qui a pu lui échapper d'injurieux contre la France, on ne cessera d'avoir les égards qui lui sont dus à toutes sortes de titres.

Ainsi donc, mon cher solitaire, voyez si il vous est possible d'écrire au roi de Prusse, de lui mander que nous avons connaissance de cette phrase et d'en obtenir une explication. La démarche de votre part et de la nôtre est honnête; si elle ne produit rien, comme ni vous, ni moi n'irons de notre vie auprès de Spandau, elle n'est d'ailleurs sujette à aucun inconvénient.