Berlin, 19 décembre 1750
… Le grand crédit de m. de Voltaire me paraît furieusement péricliter.
Le roi de Prusse a découvert hier que ce célèbre poète ne s'amusoit pas toujours à faire des vers, et avait chargé dans un de ses moments de loisir un Juif d'aller à Dresde lui acheter des billets de la Steuer à 36 p. c/o dans le dessein de se les faire payer par cette banque en entier conformémt au traité de Dresde. Vous jugerez aisément monsieur de l'impression qu'une pareille manœuvre a faite sur sa majesté prussienne dans un moment où l'on travaille à la liquidation des billets, et où elle vient de défendre par un édit à tous ses sujets cette espèce de commerce. Le roi de Prusse a fait hier confidence de cela au major Chazo qui a dîné avec lui tête à tête, et lui a même dit d'envoyer chercher le Juif ce matin et de lui ordonner de se plaindre à lui de la commission dont m. de Voltaire l'avait voulu charger. M. de Chazo qui m'est venu conter toute l'histoire hier au soir, m'a dit que le roi de Prusse était furieux contre Voltaire, et voulait faire éclater cette affaire ainsi que plusieurs vilains tours d'argent que ce poète a fait depuis qu'il est ici, et dont sa majesté prussienne est informée. Je me suis toujours bien douté que si l'ostentation l'a fait prendre, ses licences le feraient chasser, car c'est un homme qui pour gagner un écu commettra toujours le roi de Prusse quand il en trouvera occasion. Il est bien malheureux avec autant d'esprit d'avoir aussi peu de jugement et de conduite.
J'ay l'honneur d'être avec un très profond Respect
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Tyrconnell