1752-03-12, de François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud à Étienne André Philippe de Prétot.

J'avois chargé mon frère de vous remettre un exemplaire de mon poëme.
L'a t-il fait? Comment vous portés vous mon cher ami? Pour moi je me porterois assés bien si j'étois plus à moi même et à la tranquilité. Je vis ici au milieu de la cour la plus polie, on m'y comble d'honneurs et de bontés. Tout cela cependant ne me fait pas oublier l'adorable roi que j'ai quitté, et les scélératesses du misérable Voltaire. Sans doute que la voix publique vous a appris son procès infâme avec un juif; ce procès a achevé de combler son déshonneur en Allemagne. Il vient de s'accommoder à prix d'argent, mais il ne peut se laver de la tache, et il n'y va pas moins que du faussaire, et du fripon, cela est prouvé aux yeux de tout Berlin qui a cet homme en exécration. Vous frémiriés si vous sçaviés toutes les indignes manoeuvres que cet homme a employés pour me perdre et m'écraser, jamais il n'a été plus méchant, et plus perfide. Les calomnies les plus atroces, les plus grossières lui ont peu coûté, il est si peu muni de [?pudeur]. Il est vrai que je suis bien vengé, mon innocence et ma probité sont reconnües à Berlin, à Dresde, dans toute l'Allemagne, le roi de Prusse lui même commence à sçavoir la vérité. Je n'ai perdu que ma fortune et c'est bien peu de chose vis à vis ce que l'ingrat Voltaire voulut m'ôter. S'il avoit pu me percer le coeur il l'auroit fait. Voilà où m'ont conduit les vers du roi, sa basse jalousie a égaré cet homme qui est si fort au dessus des autres par ses talents. Il n'a pas senti que l'éloge que le roi faisoit de mes foibles talents étoit moins des louanges que des conseils….