1762-06-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Philippe Fyot de La Marche.

Vous m'affligez sensiblement mon respectable ami en m'aprenant que Mr votre fils prend d'autres arbitres que vous même.
Il ne m'apartient pas de faire des réflexions, je me borne à respecter en luy le fils du plus digne magistrat, et du plus honnête homme qu'ait la France, et je ne puis douter que son cœur n'ait les sentiments du vôtre. S'il y a quelque malentendu, je me flatte qu'il le fera cesser en s'en rapportant uniquement à vous. Mais en attendant le cœur me saigne. Je vous suis très obligé de vouloir bien m'envoyer votre mémoire. Mais prenez garde que je ne pleure en le lisant.

Au reste vous devez être averti que Mrs des postes ont décachetez plusieurs paquets adressez à mr Dargental sous l'envelope de mr de Courteille. Si vous m'adressez quelque chose par cette voye, ne mettez point de cachet au paquet qui m'est destiné. C'est ce cachet senti par les mains funestes des commis qui autorize leur insolence. Il faut donc passer sa vie à se précautionner contre des ennemis! Terras Astræa reliquit.

Je vois toujours avec la même douleur cette fermeté de votre parlement, qu'on appelle sans doute opiniâtreté à la cour. Je ne vois pas pourquoy des juges refusent de juger mon procez sur le prétexte qu'ils en ont perdu un au conseil. Un régiment refuse t'il de servir parce qu'il croira avoir à se plaindre de la cour? comment une telle réflexion est elle sans aucun poids dans des têtes sages? Je vous dis ma pensée avec une naiveté que vos bontez autorisent. Vivent la Marche et les Délices! Pour moy qui n'ay été heureux que dans ma retraitte, je vous crois encor plus heureux dans la vôtre parce que vous méritez mieux de l'être et que votre retraitte est plus belle. Mais vous excepté, je ne troquerais pas mon sort contre aucun autre.

Je ferai l'impossible pour venir vous faire ma cour à la Marche. Il faudra demander la permission à Tronchin et à Corneille, et la permission est difficile à obtenir.

Permettez que je mette icy ce petit billet pour mr de Voge. Adieu monsieur, je vous aimerai, je vous révéreray jusqu'au dernier moment de ma vie.

V.