1762-01-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

J'ay reçu aujourdui à la fois la lettre dont vous m'honorez en datte du 27 nbre, et celle du sept xbre d'un seigneur de votre nom qui parait animé de votre esprit, et bien digne d'être votre parent.
J'ay rendu à monsieur de Soltikof les lettres dont vous m'avez bien voulu charger pour luy et pour le gentilhomme qui est à Geneve. Comme j'ignore les titres de la personne de votre nom qui m'a fait l'honneur de m'écrire souffrez monsieur que je mette ma réponse dans le paquet de votre Excellence.

Je présume que vous avez reçu le paquet dont j'eus l'honneur de vous donner avis par ma dernière. Je L'adressai à mr le comte de Caunits à Vienne pour plus de sûreté ne sachant pas si monsieur le Comte de Czernishefétait encor à Vienne. C'est à mr de Czernishef que j'envoye cette lettre, en l'avertissant en même temps de l'envoy que j'ay pris la liberté de faire à mr le comte de Caunits. Monsieur de Czernishef étant votre amy, cette voye sera désormais celle dont je me servirai.

Il me semble monsieur que je vous avais fait mon compliment sur la conquête de Colberg un peu avant que cette place fût prise par vos armes victorieuses. Si on me reproche quelque méprise sur les événements passez, vous voyez que je ne prédis pas mal l'avenir, et que mon vray métier est d'être profète. Je vous prophétise donc de plus grandes choses qui mettront le comble à la gloire de votre nation, et qui seront une belle réponse à celuy qui prétendait que le mot honeur ne se trouvait pas dans votre langue. Il me semble que vous avez l'honneur de la victoire, de la conduitte, de la magnanimité, de la probité et je doute que celuy qui vous a outragez, ait un pareil dictionaire pour son usage. J'ignore quel est cet écrivain, mais c'est à luy à corriger son livre.

Pour le 1er tome de Pierre le grand soyez sûr monsieur qu'il sera conforme à touttes vos vues, après mes petites représentations.

Je n'ay de place que pour assurer du tendre respect que je conserverai toutte ma vie pour votre excellence.

V.