à Ferney [c. 15 October 1761]
Dieu soit loué mon cher confrère de votre sacrement de mariage.
Si Moïse Lefranc de Pompignan fait une famille d'hippocrites, il faut que vous en fassiez une de philosophes. Travaillez tant que vous pourez à cette œuvre divine. Je présente mes respects à madame la philosophe. Il y a beaucoup de jolies sottes, beaucoup de jolies friponnes. Vous avez épousé beauté, bonté et esprit, vous n'étes pas à plaindre. Tâchez de joindre à tout cela un peu de fortune, mais il est quelquefois plus difficile d'avoir de la richesse qu'une femme aimable.
Mes compliments je vous en prie à frère Helvetius, et à tout frère initié. Il faut que les frères réunis écrasent les coquins. J'en reviens toujours lâ. Delenda est Carthago.
Ne soyez pas en peine de Pierre Corneille. Je suis bien aise de receuillir d'abord les sentiments de l'académie, après quoy je dirai hardiment mais modestement la vérité. Je l'ay ditte sur Louis 14, je ne la tairai pas sur Corneille. La vérité triomphe de tout. J'admireray le beau, je distinguerai le médiocre, je noterai le mauvais. Il faudrait être un lâche ou un sot pour écrire autrement. Les nottes que j'envoye à l'académie sont des sujets de dissertations qui doivent amuser les séances, et les notes de L'académie m'instruisent; je suis comme la Flèche, je fais mon profit de tout.
Adieu mon cher philosophe, je vis libre, je mourrai libre. Je vous aimerai et vous estimerai jusqu'à ce qu'on me porte dans la chienne de jolie églize que je viens de bâtir, et où je vais placer des reliques envoieez par le st père.
V.