à Ferney pays de Gex 2 janvier 1761
Je salue les frères en 1761 au nom de dieu et de la raison, et je leur dis, Mes frères, odi profanum vulgus et arceo. Je ne songe qu'aux frères, aux initiez. Vous êtes la bonne compagnie, donc c'est à vous à gouverner le public, le vrai public devant qui touttes les petites brochures, tous les petits journaux des faux crétiens disparaissent et devant qui la raison reste. Vous m'écrivites mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps que j'avais passé le Rubicon. Depuis ce temps là je suis devant Rome. Vous aurez peutêtre ouï dire à quelques frères, que j'ay des jésuittes tout auprès de ma terre de Ferney, qu'ils avaient usurpé le bien de six pauvres gentilshommes, de six frères, tous officiers dans le régiment de Deux Ponts, que les jésuittes pendant la minorité de ces enfants(il y en a qui n'a que douze ans, et qui sert depuis trois) avaient obtenu des lettres patentes pour acquérir à vil prix le domaine de ces orphelins, que je les ay forcez de renoncer à leur usurpation, et qu'ils m'ont apporté leur désistement. Voilà une bonne victoire de philosophes. Je sçai bien que frère Croust caballera, que frère Berthier m'appellera athée, mais je vous répète qu'il ne faut pas plus craindre ces renards que les loups de jansénistes, et qu'il faut hardiment chasser aux bêtes puantes. Ils ont beau heurler que nous ne sommes pas crétiens; je leur prouverai bientôt que nous sommes meilleurs crétiens qu'eux. Je veux les battre avec leurs propres armes, mutemus clipeos. Laissez moy faire. Je leur montreray ma foy par mes œuvres avant qu'il soit peu. Vivez heureux mon cher philosophe dans le sein de la philosophie, de l'abondance, et de l'amitié. Soyons hardiment bons serviteurs du dieu et du roy et foulons aux pieds les fanatiques et les hipocrites.
Dites moy je vous prie s'il est vrai que ce cher Fréron soit sorti de son fort. On l'avait mis lâ pour qu'il n'eût pas la douleur de voir encor cette malheureuse Ecossaise, mais on se méprit dans l'ordre: on mit Fort l'Evèque au lieu de Bissetre. On fera probablement un errata à la 1ère occasion. Mes respects à made Helvetius.
Je le répète il y a des choses admirables dans l'héroïde du disciple de Socrate. N'aimez vous pas cet ouvrage? Il est d'un de nos frères. Je luis dis Καιρε.
V.