1er may 1761
Permettez mes anges que je fasse passer par vos mains cette lettre à Duclos ou plustôt à L'académie en réponse de la proposition que notre secrétaire m'a faitte de travailler à donner au public nos auteurs classiques.
Il est vray que j'ay un peu d'occupation, car excepté de fendre du bois, il n'y a sorte de métier que je ne fasse.
Cependant mettez vous Oreste à l'ombre de vos ailes?
Pardon encor une fois, mais je n'ay pu m'empêcher de donner baucoup de temps à cette pièce du temps de François 1er . Ce sujet m'a tourné la tête. Vous dites que c'est à peu près ce que j'ay fait de plus mauvais en ce genre. Made Denis soutient que c'est ce que j'ay fait de mieux.
Je vous demande pardon; mais je donne la préférence cette fois cy à made Denis.
Pour melle Corneille, elle n'est pas encor dans le secret. Nous luy apprenons toujours à lire, à écrire, à chifrer, et dans un an nous lui ferons lire le Cid. Elle n'a pas le nez tourné au tragique. Mr de Chimene n'est pas non plus dans la confidence. Il fait jouer cette semaine son don Carlos à Lyon, et est trop occupé de sa gloire pour qu'on luy confie des bagatelles.
Mes anges je suis accablé de tant de riens, si surchargé de billevesées, et si faible que vous me pardonnerez le laconisme de ma lettre.
N. B. pourtant que j'ay pris la liberté de vous adresser par mr Tronchin ma triste figure pour l'académie qui la demande. N'allez pas faire le difficile comme sur la pièce d'Heurtaud. Ayez la bonté de soufrir cette enseigne à bierre. Je la mets sous votre protection, et Heurtaud aussi qui brigue je crois une place d'Arlequin.