1761-06-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Mon cher maitre j'avais prié frère Crammer de vous demander vos conseils sur cette édition de Pierre Corneille qui ne me donnera que bien de la peine, mais qui poura ètre utile aux jeunes gens, et surtout au petit neveu et à la petite nièce qui ne la liront point.
Du moins mademoiselle Corneille ne la lira de longtemps. Son petit nez retroussé n'est pas tourné au tragique. Il me faudra pour le moins encor un an avant que je la mette au Cid, et je luy en donne deux pour Heraclius.

Je vois avec douleur mon cher maître que le secrétaire perpétuel n'a pas eu pour vous touttes les attentions qu'on vous doit, mais je crois que vous n'en adopterez pas moins un projet que vous avez eu il y a longtemps et que vous m'avez inspiré. Je n'attends que la réponse à ma lettre que M. le duc de Nivernois a communiquée à l'académie pour entreprendre cet ouvrage. Il sera la consolation de ma vieillesse. Je m'instruirai moy même, en cherchant à instruire les autres: j'aurai le bonheur d'être utile à une famille respectable. Je ne peux mieux prendre congé. Ayez donc la bonté de me guider. Conseillez, pressez ces éditions de nos autheurs classiques.

Un imbécille qui avait autrefois le département de la librairie fit faire par un malheureux Laserre les préfaces des pièces de Moliere; il faut effacer cette honte.

Aureste mon cher sousdoyen vivons. Vous avez déjà vécu environ quinze ans de plus que Ciceron, et moy plus que la Motte. Achevons à la Fontenelle. C'est la seule chose que je vous conseille d'imiter de luy.

V.