1761-03-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher et ancien ami, nous sommes tous malades.
Nous avons quitté Ferney pour revenir aux Délices à portée des Tronchins. Madame Denis se fait saigner; et moy je cherche à faire diversion en vous écrivant. Si on saigne aussi la petite nièce du grand Corneille je demanderai qu'on en mette quelques gouttes dans mes veines si faire se peut pour la première tragédie que je ferai. Mr de Chimene est le seul de la maison qui ait résisté à l'épidémie. Il s'était purgé par les lettres sur Jean Jaques. Voicy un rescrit de L'empereur de la Chine sur la paix perpétuelle que ce Jean Jaques va nous procurer. Amusez vous de cela en attendant la diette europaine. Ce petit rogâton n'enflera pas baucoup le paquet. Je voudrais vous envoyer une grande diable d'épitre en vers à madame Denis sur l'agriculture que nous aimons tout deux; si vous en êtes curieux demandez la à mr Dargental ou à mr Tiriot, elle ne vaut pas le port.

Je vous suppose à Paris, sanum et hilarem. Je suis hilaris, mais non sanus. Si j'avais de la santé on verrait beau jeu. Adieu, je vous embrasse tendrement.

V.