19 mars [1761] à Ferney
Je suis fâché contre mr Tiriot le paresseux.
Je suis enchanté de mr Damilaville le diligent. Je reçois l'interprétation de la nature, livre au quel je n'avais pu encor parvenir, non plus qu'au sujet qu'il traitte. Je vais le lire et je suis sûr que je trouverai cent traits de lumière dans cet abime.
Voylà donc Jean Jacques politique. Nous verrons s'il gouvernera l'Europe, comme il a gouverné la maison de madame Volmar. C'est un étrange fou. Il m'écrivit il y a un an, vous avez corrompu la ville de Genève pour prix de l'azile qu'elle vous a donné. Ce pauvre Bâtard de Diogène voulait alors se faire valoir parmi ses compatriotes en décriant les spectacles: et dans son faux entousiasme, il s'imaginait que je vivais à Geneve, moy qui n'y ay pas couché deux nuits depuis cinq ans. Il a l'insolence de me dire que j'ay un azile à Geneve, à moy qui ai pour vassaux plusieurs des magistrats de sa république parmy les quels il n'y en a pas un qui ne le regarde comme un insensé. Il m'offense de guaité de cœur moy qui luy avais offert, non pas un azile, mais ma maison où il aurait vécu comme mon frère. Je fais juge mr Diderot, mr Tiriot et tous vos amis du procédé de Jean Jaques, et je leur demande si quand un détracteur de Corneille, de Racine, de Moliere fait un roman dont le héros va au bordel, et dont l'héroine fait un enfant avec son précepteur, ne mérite pas bien le mépris dont mr de Chimene daigne l'accabler.
L'abbé Trublet a donc la place du maréchal de Belle-ile? Vous verrez qu'il n'aura jamais que celle de l'abbé Cotin.
Mr Tiriot le parésseux, un petit mot je vous prie.
Quand il faudra écrire à monsieur de Courteille — ordonez.
Je crains de grossir trop le paquet en y mettant une épitre sur l'agriculture dans la quelle je parle heureusement très peu d'agriculture. Elle est dans le paquet de mr Dalembert. Son nom et celuy de mr Diderot s'y trouvent. Il vous la donnera, le comité en jugera. En attendant, je plante et je défriche.