Au château de Ferney, pais de Gex [en Bourgogne, 16 janvier 1761]
Madame Denis et moi, madame, nous nous souvenons toujours avec grand plaisir de votre apparition, et nous sommes enchantés de votre souvenir.
Je viendrais vous en remercier à Besançon, si j'étais le maître de mon temps; mais vous savez que les cultivateurs ne peuvent abandonner leurs chaumières. Nous autres laboureurs, nous ne sommes pas comme les magistrats, nous n'avons point de vacances. Il faut que nous travaillions toute l'année, afin de nous mettre en état, nous et nos paysans, de payer nos tributs à messieurs les fermiers généraux. J'emploie la fin de ma carrière à fertiliser, si je peux, des terres ingrates, à donner du pain à des malheureux qui en manquent. Je fais plus de cas de cette occupation que de tous les plaisirs de Paris. Mais madame Denis aime mieux le théâtre que la charue, et comme nous avons avec nous la descendante du grand Corneille, nous pourrions bien, madame, vous inviter, vous et monsieur de Bergeret, à une représentation du Cid, l'automne prochain.
Je crois qu'il faut donner des fêtes pour engager à passer les vilaines montagnes qui nous séparent. Je présente mes respects à m. de Bergeret, et j'ai l'honneur d'être avec les mêmes sentiments, madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire