Au château de Ferney par Genève 29e xbre 1760
Les hivers me sont toujours un peu funestes, mon cher Colini, vous connaissez ma faible santé.
Je ne peux vous écrire de ma main; j'attendrai que la foule des compliments du jour de l'an soit passée, pour importuner d'une Lettre son Altesse Electorale, et pour lui présenter mon tendre et respectueux attachement. J'ai bien peur de n'être plus en état de venir lui faire ma cour; je mourrai avec le regret de n'avoir pû finir nôtre affaire de Francfort; vous sçavez que les évênements s'y sont opposés; on est obligé de recommencer sur nouveaux frais quand on croiait avoir tout fini; ce qui ne paraissait pas vraissemblable est arrivé; soiez bien sûr que si les affaires se tournent d'une manière plus favorable, je poursuivrai celle qui vous regarde avec la plus grande chaleur; Je m'imagine que vous aurez de beaux opéras cet hiver. Vous finirez par les faire vous même et vous plairez à la cour en vers et en prose. Les hivers sont d'ordinaire fort agréables dans les cours d'Allemagne; pour moi je passerai mon hiver dans mes campagnes. Il faut que je cultive mon petit territoire, j'ai environ deux lieües de païs à gouverner; les choses sont bien changées de ce que vous les avez vües; je n'ai jamais été si heureux que je le suis, quoi que malade et vieux; je voudrais que vous partageassiez mon bonheur.
V.