1756-02-22, de Charles Palissot de Montenoy à Jacob Vernes.

Je vous aurai déjà envoié, Mon cher Vernes, la malheureuse comédie qui a fait tant de bruit; mais je n'ai pû parvenir encore à en avoir un seul Exemplaire.
Vous pouvez être bien sûr que le premier dont je disposerai sera pour vous.

Mes ennemis ont poussé l'absurdité jusqu'à dire que j'avais aussi joué M. de Voltaire dans cette pièce. Il est heureux pour moi que la calomnie garde si peu de mesures lors qu'elle a dessein de nuire. Tout le monde sçait (et j'en tire plus de vanité que de mes ouvrages) combien je respecte M. de Voltaire, et combien je le crois le plus beau génie que la France ait encore produit. On m'a fait quelquefois l'honneur de penser que mon admiration pour lui allait jusqu'à l'Enthousiasme; on croiait me railler, et je souhaitterais que cette marque de mon respect pour ce grand homme passât à la postérité. C'est le propre d'un sot que d'être enthousiaste d'une réputation commune; mais c'est une sottise aussi que d'admirer médiocrement le génie le plus universel que la nature ait jamais formé. On imagina différents Hercules pour leur attribuer les travaux de l'Hercule des Grecs. On ne pouvait croire tant d'exploits d'un seul homme. Il En arrivera peut être autant de M. de Voltaire. On ne pourra croire que le même homme ait fait la Henriade, la Pucelle, tant de tragédies, tant de pièces fugitives charmantes, le siècle de Louis XIV, L'histoire de Charles XII, Enfin tant d'autres petits ouvrages excellents qui disparaissent dans l'étendue de sa sphère, et qui réunis suffiraient pour établir la Réputation la plus brillante. Voilà, Mon cher ami, une faible expression de mon jugement sur M. de Voltaire. Jugez si mes ennemis se sont bien adressés. Je ne me consolerai pas cependant si une imputation si odieuse avait passé jusqu'à lui. Je vous prierai de le sonder là dessus, et de détruire les préventions qu'on aurait pû lui donner. Je serais insensible à tout hors à ce qui pourrait me rendre suspect à ce grand homme. Je vous ai prié de me mander quand l'édition de ses ouvrages sera finie, et ce qu'il faut que je fasse pour m'en assurer un exemplaire. Ne l'oubliez pas je vous en conjure, Mon cher Vernes. Je regarderai ma bibliothèque avec indifférence tant que je n'y verrai pas ses oeuvres….

Adieu, Mon cher Vernes. Embrassez mille fois pour moi votre adorable famille. Je vous porte tous dans mon coeur.