1756-03-15, de Charles Palissot de Montenoy à Jacob Vernes.

Vous ne pouviez me donner, Mon cher Vernes, une marque plus sensible d'amitié, qu'en tâchant de détruire les préjugez que l'on a voulu donner à M. De Voltaire sur mon compte.
Je viens d'écrire à ce grand homme que j'aurais été si flatté de revoir. S'il connaissait mes sentimens pour lui, j'ose dire qu'il en serait touché. On m'a quelquefois accusé de fanatisme à son égard; mais si quelque chose après Dieu a pu mériter de faire des fanatiques, c'est assurément son plus parfait ouvrage.

Je crois que vous pouvez lui montrer mon apologie. Il y verra par la Lettre du comte de Tressan combien j'étais outragé. Il le verrait encore mieux par celle de Dallembert dont M. le Duc d'Ayen m'a fait parvenir l'original. Il pardonnera à ma jeunesse le mouvement d'humeur qui m'avait saisi, et peut étre me saura t'il quelque gré de ma modération, puis qu'enfin j'ai condamné ma Réponse au silence.

Faites là dessus, Mon cher ami, ce que vous jugerez le plus à propos. Si ce grand homme veut bien porter la complaisance jusqu'à m'entendre, je crois que je serai à demi-justifié. Après votre amitié rien ne m'intéresse plus dans le monde que la façon de penser de M. de Voltaire. Profitez, Mon cher Vernes, des sentimens qu'il a pour vous, et tâchez de lui en inspirer de pareils pour votre ami.

Je Remettrai à M. Lavergne Votre exemplaire de mon histoire. J'ai Répondu dans un discours que j'oserais mettre à côté de nos meilleurs ouvrages modernes, à l'objection que vous me faites contre mon sujet. C'est ce discours surtout que je vous prierai d'annoncer, et dont j'ose vous prédire que vous serez étonné. Vous le ferez lire à M. de Voltaire. J'ai pris la liberté de n'étre pas de son avis dans un ou deux endroits; peut-étre l'ai-je mal entendu; mais avec quel respect j'ai combattu ses opinions! Voilà comme on doit hazarder ses doutes sur quelques passages des grands hommes. Il me semble qu'à la faveur de ces doutes bien ou mal fondés, on établit mieux tout ce qu'on peut dire à l'éloge d'un autheur. C'est un signe qu'on a pour lui une admiration réfléchie.

Adieu, Mon cher Vernes. J'espère recevoir encore de vous une Réponse icy. Ne me trompez pas dans mon attente, et parlez moi de M. De Voltaire. Mandez moi ce qu'il aura pensé de mon apologie. Madame Denis ne me persuadera point qu'il y ait d'autres géants dans la Littérature que son oncle. Présentez leur à tous deux mes Respects, et ne tardez pas à me donner des nouvelles….

Embrassez pour moi mille et mille fois la charmante Dorette, et toute votre adorable famille.