1769-02-12, de — Du Gard d'Echichens à [unknown].

Je le tiens mon cher monsieur, ce précieux gage de votre amitié, ce vol pieux, que vous avés bien voulu faire en ma faveur; le bon homme Sirven me la remis avec autant de dévotion que je l'ay reçeû; je vous en fais ici mes très sincères remerciements.
Je vais, pour loger dignement ce bijou chèri, faire construire une châsse, que je décorerai de tous les attributs qui lui appartiennent à si juste titre: je la placerai sous un Dais, dans ma petite bibliothèque; il y présidera, comme de raison, sur tout ce que j'y révère le plus: à sa droite, seront les oeuvres immortelles de l'incomparable autheur, dont il a couvert la nuque à sa gauche, celles qui sans porter son nom, n'en importent pas moins au fond de l'âme, ces vèrités lumineuses, qui dissipent les ténèbres dont une fausse politique nous a environnés. J'enchainerai à ses pieds ce tâs de reptiles, qui a si vainement cherché à le déprimer; je couronnerai sa tête de l'estampe des Calas, et j'apellerai ce monument les Triomphes de Voltaire à l'instar de la place des Victoires, mais avec cet avantage qu'il tirera sa lumière de lui méme, sans le sécours de 4 lanternes, qu'un souffle peut anéantir. Tout ce que je crains, c'est de me voir bientôt dépouillé de ma chére Calotte, quelque précaution que je puisse prendre pour la conserver; on me l'enviera, on m'en enlévera chaque jour une pièce, et sans étre Prophète, je puis prédire qu'elle se multipliera dans le monde philosophique, comme tant d'autres reliques se sont multipliées dans le monde chrétien; n'importe, pourvü qu'il m'en reste un fil, je m'en consolerai par la gloire qui en demeurera à mon Patron.

Vous étes mon cher Monsieur, au centre des nouvelles littéraires, souvenés vous quand il en paroitra, d'un pauvre reclus, qui vous a déjà tant d'obligations de ce genre; la dernière qui m'a passé par les mains, c'est l'instructive A. B. C. que j'ay lüe avec un plaisir infini.

Votre séjour à Ferney est plus long que vous n'avés pensé, je n'en suis point surpris; on ne quitte pas si aisément ce qui a tant d'attraits; que ne suis je moins vieux et plus propre à être transporté, j'implorerois votre intercession pour étre admis à faire ma Cour, à l'ancienne mode orientale, au grand homme que vous avés le bonheur de voir de si prés. Que ces délices ne vous fassent cependant pas oublier vos amis; conservés moi, en particulier une petite part dans votre souvenir, j'ose dire qu'elle m'est dhüe en retour des sentimens inaltérables avec lesquels je ne cesserai d'étre

Votre très humble et très obéïssant serviteur

D'Eschichens

Mon fils vous prie de recevoir ses honneurs très humbles.